Khiva Là
Il suffirait d’une heure trente pour rejoindre Khiva en avion depuis Tachkent. Le plan comporte pourtant un défaut majeur : celui de renoncer aux 14 heures de train de nuit depuis la capitale. Renoncer à la théière d’eau chaude posée entre les couchettes, à la moquette épaisse des wagons soviétiques, à la promenade nocturne le long des compartiments illuminés pour atteindre le samovar fumant. Renoncer aussi à la fenêtre ouverte sur la nuit chaude de mai, bordée d’étoiles. Tirer un trait enfin sur le roulis du train, le sommeil bercé par le tacatac-tacatac régulier des rails et à travers la vitre poussiéreuse, le visage encore posé sur l’oreiller au matin, la vue sur le désert, inchangée jusqu’à Ourgentch et Khiva.
On n’allait pas, autrefois, à Khiva par plaisir. Pour tout raser, quand on s’appelait Gengis Khan (~1155/1227) et Amir Timur (Tamerlan – 1336/1405). Pour faire étape sur les longues routes caravanières en direction du nord de la Caspienne ou de la Perse. Par Grand Jeu russo-britannique. Par contrainte aussi, et sous la menace, pour ceux qui se faisaient capturer par les tribus turkmènes du désert du Kara-koum ou par les nomades des steppes kazakhes.
Pendant des siècles, la ville n’est rien d’autre qu’un avant-poste isolé aux marges du désert. Il faut attendre le XVIe siècle pour que, sous l’impulsion d’une branche des Chaïbanides ouzbeks, un État indépendant soit recréé au Khorezm. Ourguentch (aujourd’hui Kounya-Ourguentch, au Turkménistan) en assure un temps la fonction de capitale, jusqu’à ce le cours du fleuve Amou Daria se trouve brutalement dévié et la ville finisse asphyxiée.
Promue capitale du khanat à la place d’Ourguentch, Khiva connaît une période de relative prospérité du XVIe au XIXe siècle, qui s’achève avec l’intervention musclée de l’Empire russe en 1873, fatigué de voir ses caravanes commerciales constamment pillées et ses troupes servir à alimenter le trafic régional d’êtres humains.
Depuis, Khiva a perdu son statut de plus grand marché aux esclaves d’Asie Centrale. La ville s’est assagie, a été adoubée par l’Unesco en 1990 et parvient même à attirer les touristes – sans avoir plus besoin de recourir à la force.
Khiva se scinde en deux parties. Dichan-Kala, la ville extérieure, et Itchan-Kala, la forteresse intérieure, endormie à l’ombre de ses hautes murailles de briques. À l’abri des remparts, les ruelles piétonnes de la cité serpentent entre palais et médersas, mosquées, bazars et caravansérails. Murs d’adobe et de pisé monochromes se succèdent, ouvrant successivement sur un bandeau de mosaïques turquoises, une porte de bois ciselé, un minaret aux somptueuses céramiques couleur jade ou une cour égayée par les couleurs vives des suzani (broderies) empilés sur les étals.
Koukhna Ark
Ancienne résidence des seigneurs (khans) de Khiva. Propulsé dans l’orbite bolchévique, le khanat sera remplacé par une République Populaire du Khorezm en 1920 – république avalée à son tour par la RSS d’Ouzbékistan en 1924.
Mosquée Juma
Mosquée du Vendredi (XVIIIe) : 212 piliers de bois sculptés, issus chacun d’époques différentes, soutiennent le plafond à la manière des anciennes mosquées arabes. Les colonnes les plus anciennes proviendraient de la mosquée d’origine, construite au Xe siècle.
Kalta Minor
« Minaret court », stoppé net dans sa course aux sommets (XIXe)
Mausolée de Pahlavon Mahmud
… poète soufi, philosophe et lutteur (XIIIe-XIVe) devenu le saint-patron de la ville. Le lieu – coiffé d’une immense coupole vert émeraude – abrite les tombes de plusieurs khans.
Palais Tach-Khaouli/Tosh Hovli
« Maison de pierre ». Le palais, bâti au XIXe, devait surpasser en beauté la citadelle Koukhna Ark. Pari tenu : les trois cours intérieures subsistantes (le harem, la salle d’audience et la cour de justice) sont sans aucun doute les plus somptueuses de Khiva.
Les pièces devenues trop difficiles à chauffer en plein hiver, le khan trouvait refuge à l’intérieur des yourtes aménagées dans l’enceinte même du palais
Hors les murs
Pour retrouver la ville populaire, il faut s’aventurer à la périphérie, au pied des murailles nord et sud, dans les rues basses de Dichan Kala. Khiva s’est à ce point agrandie qu’elle flirte à présent avec les « sables noirs » du Kara-koum. La vue plonge entre les enchevêtrements de câbles et de tuyaux, l’ocre des maisons, les topchan1 Topchan ou « chorpoya » : plateforme surélevée recouverte de tapis et de coussins, au milieu de laquelle est posée une petite table basse – servant notamment à prendre le thé… matelassés dissimulés à l’ombre des arbres, les vergers et les champs de coton ceinturant la ville. Au sud, le désert turkmène. Au nord, les steppes désolées du Karakalpakstan – les citadelles d’Elliq-Kala, les toiles avant-gardistes du Musée Savitsky. Ne reste qu’à trouver une voiture pour prendre le large…
Visiter Khiva : informations pratiques
Organiser sa visite
- Un billet combiné donne accès à tous les bâtiments de la ville, pour beaucoup convertis en musées sans grand intérêt. Le tarif est totalement exagéré (150 000 soums par personne, soit environ 15 euros) et ne donne accès ni au mausolée de Pahlavon Mahmoud ni au minaret Islam Khodja (20 000 soums supplémentaires)… À vous de faire le calcul mais attendez vous de toute façon à payer beaucoup plus cher que dans le reste du pays. Billetterie porte Ouest.
- Pour une vue sur la ville, hissez-vous au sommet du minaret Islam Khodja, sur les hauteurs de la citadelle Koukhna Ark (on accède à la tour de guet depuis la salle du trône), ou bien grimpez sur la portion de remparts accessible depuis la porte Nord. Le Terrassa Cafe offre également une belle vue sur la citadelle (en théorie – le restaurant était privatisé pour accueillir le Président allemand lors de notre passage).
- Une question récurrente, lorsque l’on prépare un voyage en Ouzbékistan, concerne le temps à consacrer à chacune des trois cités-oasis. Plus petite et resserrée que ses anciennes rivales (Boukhara et Samarcande), Khiva se visite grosso modo en une journée et demi, ce qui ne la rend pas moins intéressante, au contraire…! Si vous le pouvez : passez deux jours entiers sur place + consacrez une journée à l’exploration du Karakalpakstan (Elliq-Kala, Noukous).
- Artisanat : la fabrique de tissage « Silk Carpet Workshop » propose de très belles pièces (tapis et suzani brodés à la main). Ailleurs en ville vous trouverez pêle-mêle lutrins en bois sculpté, châles, chaussons au crochet, tentures, toques et manteaux en astrakan… Ne reste qu’à négocier.
- Retirez suffisamment de soums/dollars avant de débarquer à Khiva, la ville ne comptant pratiquement aucun distributeur.
Silk Carpet Workshop
Fabrique traditionnelle de tapis et suzani, cotonnades brodées de soie à l’aiguille, typiques de l’Asie Centrale (le mot « suzana » dérive du persan « suzan », « aiguille »).
Où dormir/se restaurer à Khiva
- Une chambre : Islam Khodja est peut-être (sûrement !) l’une des guesthouses que l’on a préférées en Asie Centrale. La famille est adorable, le petit-déjeuner délicieux, les chambres et salles de bain partagées impeccables (la vitesse avec laquelle la salle de bain est nettoyée après CHAQUE passage a un côté quasi-flippant) et l’emplacement est idéal à deux pas… du minaret Islam Khodja. Décoration 100 % ouzbèke.
- Une cantine : Itchan-Kala ayant été vidée de ses habitants, les restaurants installés dans l’enceinte de la vieille ville sont avant tout destinés aux touristes. Goûtez néanmoins les pâtes à l’aneth (shivit oshi) du Café Zarafshon et profitez des topchan/chorpoya du café Mirza Boshi pour fuir le soleil…
Transports
- Rejoindre Khiva depuis Tachkent : pour les vols depuis Tachkent, renseignez-vous sur le site de la compagnie nationale Uzbekistan Airways (qui, pas de panique, n’est pas classée sur la liste noire de l’Union Européenne). Autre option, plus lente mais plus poétique : voyager en train de nuit. Les billets s’achètent en ligne sur le site des chemins de fer ouzbeks, 30 jours avant le départ. Trois types de compartiment sont disponibles : 1e classe (« luxe », 2 couchettes), 2e classe (« kupe », 4 couchettes) et « platzkart » (compartiment ouvert). Plus d’information sur Seat61– site de référence pour les voyages en train à travers le monde. Attention, le train Tachkent/Khiva ne circule pas tous les jours. Pour info, depuis 2018 plus besoin de changer à Ourguentch pour rejoindre Khiva.
- Quitter Khiva pour Boukhara : en fonction du jour de la semaine, vous pourrez éventuellement récupérer un train direct pour Boukhara. Autrement, il vous faudra prendre un taxi collectif. Le trajet nous est revenu à 60 dollars pour quatre – transfert de « porte à porte » organisé par notre hôte de Khiva. À moins de vous lancer dans le stop, il est peu probable que vous vous en tiriez à moins de 20 dollars par tête. Le trajet dure entre 5 h 30 et 6 h (450 km) sur une route globalement bonne au départ, affreuse à l’arrivée. Précision utile : les voitures ouzbèkes fonctionnant au gaz, la moitié du coffre est occupée par une énorme bonbonne. Si vous êtes chargés, il vous faudra garder votre sac entre les jambes ou bien payer une place supplémentaire pour pouvoir caser tous vos bagages… À moins d’avoir un budget ultra serré, oubliez les liaisons en bus.
- L’Ouzbékistan mélange écriture latine et cyrillique. Pour vous y retrouver : Khiva s’écrit Xiva en ouzbek, Хива en russe – utile quand le site des chemins de fer se met à planter… (souvent).
Khiva – mai 2019