Virée au Zanskar
Après deux semaines et demi passées à crapahuter d’un monastère ladakhi à l’autre, l’heure est venue de prendre la tangente et de s’attaquer au Zanskar, une vallée parallèle à celle de l’Indus, plus difficile d’accès, moins fréquentée et réputée merveilleusement belle.
Un départ explosif
Nous sommes rejoints dans notre virée de 15 jours par un ami, Philippe, qui 24 heures après avoir débarqué en avion, fait déjà son footing à 3 500 m comme si l’altitude n’était qu’un paramètre abstrait parmi d’autres, sans incidence directe.
Pourtant, et à peu de choses près, Philippe restait coincé à New Delhi, sans parvenir à rallier Leh. Le jour de son départ, le 5 août 2019, le gouvernement central indien annonce sans consultation ni « préavis » la révocation de l’autonomie constitutionnelle de l’État fédéré du Jammu-et-Cachemire, situé tout au nord du pays, ainsi que la séparation de la région en deux nouveaux « territoires de l’Union » : le Ladakh d’un côté, et le Jammu-et-Cachemire de l’autre.
OK et alors ? demanderez-vous.
Sans se lancer dans un cours détaillé de géopolitique, disons que le territoire du Cachemire, victime comme le Pendjab de la partition violente de l’empire britannique des Indes en 1947, fait depuis plus de 70 ans l’objet d’un litige territorial entre l’Inde et le Pakistan – et dans une moindre mesure la Chine – qui en administrent chacun une partie.
Plongée dans une crise insoluble, la région vit au rythme des conflits armés et des attentats meurtriers menés par l’insurrection séparatiste qui, depuis la fin des années 1980, ont coûté la vie à plus de 70 000 personnes. Conséquence, le Cachemire est aujourd’hui une des zones les plus militarisées de la planète, avec près de 700 000 soldats déployés de part et d’autre de la ligne de cessez-le-feu.
Jusqu’au 5 août 2019 donc, l’État indien du Jammu-et-Cachemire bénéficiait d’un statut spécial lui permettant de disposer de son propre gouvernement et de son propre parlement. La manœuvre du gouvernement Modi, qui fait le bonheur des nationalistes hindous, a un triple objectif :
- « rétrograder » l’État fédéré du Jammu-et-Cachemire au statut de « territoire de l’Union », placé sous la tutelle directe de New Delhi ;
- dissocier le Ladakh (à majorité bouddhiste), des plaines du Jammu (hindoues) et de la vallée du Cachemire (musulmane) ;
- reprendre la matin sur la région cachemirie et mettre Srinagar, la capitale d’été du Jammu-et-Cachemire, au pas.
Bref, quand Philippe tente de prendre son vol de Delhi vers Leh, il est d’abord dissuadé d’embarquer par la police aux frontières, qui lui brosse un portrait catastrophique de la situation sur place.
Pendant ce temps-là au Ladakh, les télécommunications sont coupées et rien ne filtre. Il faut attendre le 6 août pour que l’information commence à circuler et que Leh se mette enfin à s’agiter. Ladakhis et touristes indiens tombent plus ou moins d’accord, animés par une même rancœur à l’égard des Cachemiris. Du côté d’Omar, le gérant du Pashmina Emporium de Leh (chez qui on a passé les semaines précédentes à prendre le thé), la colère est palpable et l’angoisse plus forte encore, sans nouvelles des proches restés à Srinagar.
En ce qui concerne Yongdus, notre guide zanskari, il observe la situation avec méfiance. La première nuit de notre expédition au Zanskar est prévue à Kargil, la 2e ville du Ladakh. Or, si la partie sud du district de Kargil, dont dépend la vallée du Zanskar, est majoritairement bouddhiste, comme l’est également le district de Leh (le Ladakh compte deux districts distincts : Leh et Kargil), la partie nord du district, qui englobe la ville de Kargil, est essentiellement musulmane. C’est peu dire donc que les habitants de Kargil ne sont pas tout à fait en phase avec les manœuvres politiques de New Delhi, et que l’appel à refuser « l’Union Territory » et à constituer un « Greater Ladakh » s’étendant jusqu’au Baltistan pakistanais, a toutes les raisons de crisper les autorités – qui érigent aussitôt des points de contrôle sur la route en amont de Kargil.
Redoutant des émeutes, Yongdus nous fait passer notre première nuit du côté de Mulbekh et traverser Kargil à 3 heures du matin. Mais mis à part quelques flashs lumineux dans le lointain, rien ne bouge dans les rues de la ville plongées dans un profond sommeil. Au « réveil », la voiture est stationnée au pied des géants Nun (7 135 m) et Kun (7 087 m), et d’une petite gargote dans laquelle fument de grands bols de nouilles épicées.
Le ventre plein et le cœur léger, on délaisse alors la fureur des hommes pour s’engouffrer dans un univers hors du temps – du moins en apparence -, loin des contingences géopolitiques et du fracas du monde. L’expédition peut commencer.
De Kargil à Cha
9, 10, 11, 12 août
De Kargil à Cha, point de départ du trek, il faut quatre jours de route, mis à profit pour explorer monastères et villages, finir de s’approvisionner et de s’acclimater.
La route en elle-même est une aventure, ponctuée de panneaux de circulation à l’humour très indien et très décalé (« after whisky, driving risky » ; « if you want to stay married, divorce speed », « peep peep don’t sleep ») ; les voitures circumambulent autour des chortens et des murs de mani et notre 4×4, dont la bande-son se compose à 95 % de chansons ladakhies survoltées, décolle régulièrement à la façon d’un trajet en Renault vu par FabCaro.
A travers la vitre, langues glacières, rivières sinueuses couleur émeraude et immenses vallées aux flancs multicolores se succèdent, constellées de patchworks de cultures vert et or, cousus d’orge, de blé, de genévriers, d’argousiers et d’abricotiers.
La venue imminente d’un grand Lama a conduit les habitants à se rassembler dans les villages de fond de vallée, écharpes blanches passées autour du cou, joues rougies, nattes épaisses, coiffes rehaussées de pierres et lourdes robes de laine passées sur le dos.
La « grande traversée du Zanskar », le trek le plus prestigieux du coin, sautillait jusque-là d’un monastère à l’autre à travers les vallées reculées de la région.
Arrivés à Padum, la capitale zanskarie, on s’aperçoit néanmoins que les choses changent et que le grondement du monde n’est pas aussi distant qu’on aurait voulu le croire. Une nouvelle route carrossable est en cours de construction qui devrait permettre de désenclaver la région, jusqu’à présent accessible uniquement de mai à octobre, via Kargil et le col du Pensi La.
Si bon nombre de touristes redoutent la fin d’un Zanskar « préservé et authentique », qui deviendrait in fine un corridor de passage, les locaux de leur côté n’en peuvent plus d’attendre l’aboutissement de travaux engagés depuis plus de 10 ans, accusant les autorités cachemiries de faire trainer les choses en longueur. A terme la route qui reliera Darsha, en Himachal-Pradesh, à Leh via Padum, permettra aux Zanskaris de circuler en toute saison, sans plus risquer leur vie sur la glace du fleuve gelé pour rejoindre Leh l’hiver venu.
En attendant, des milliers d’ouvriers originaires du Bihar, du Rajasthan et du Népal passent des journées entières le dos courbés sous l’harassant soleil d’altitude, à casser des cailloux et creuser des tranchées.
Khim et Bahadur, qui nous accompagnent, viennent eux aussi du Népal. 10 mois par an ils s’arrachent aux plaines du Teraï et à leurs familles pour partir travailler en Inde, la saison estivale engagés comme chefs cuistots dans les expéditions himalayennes, la saison suivante sur les plages de Goa.
En plus des deux Népalais, l’équipe est composée de Yongdus, en charge des opérations, et de son neveu Tsondus, 17 ans, recruté comme aide de camp pour l’été. « Stanzin Yongdus » et « Stanzin Tsondus », pour se conformer aux appellations locales.
Pour la petite histoire, les parents ladakhis en mal d’inspiration n’hésitent pas à solliciter le clergé bouddhiste, ou à téléphoner directement au Dalaï Lama pour recueillir un avis éclairé en matière de prénom. Généralement la réponse varie peu. Si c’est un garçon, il s’appellera Stanzin. Si c’est une fille, Stanzin aussi. Dans la maison des parents de Stanzin Tsondus, une photo de la famille en compagnie du Dalaï Lama trône en évidence sur un des murs du salon, Stanzin ado inclinant pieusement la tête au côté du grand maître – qui s’est auto-attribué le prénom Tenzin (Stanzin en tibétain).
Passage aux choses sérieuses : 10 jours à pied à travers le Zanskar
12 août | Cha (3 972 m) – Phuktal (3 883 m)
Durée : 2 heures 40 ; distance : 6,8 km
A Cha on dit au revoir à Lhundup, chauffeur déjanté, et on intègre Gaphel, le frère de Yongdus, qui pendant 10 jours s’occupera des chevaux. La caravane au complet s’ébranle à la mi-journée, le long d’un canyon rouge-orangé traversé par les eaux grises de la Tsarap en contrebas.
Le campement est dressé à côté d’une petite guesthouse, à deux pas de l’extraordinaire monastère de Phuktal.
13 août | Phuktal (3 883 m) – Dantak (3 965 m)
Durée : 4 heures ; distance : 11,4 km
Yongdus nous conduit au petit matin à travers les couloirs étroits du monastère troglodyte, niché dans les anfractuosités montagneuses. Notre guide a beau être un type bourru, on se rend vite compte qu’il est aussi une figure locale profondément respectée, expert en théologie (qu’il a étudiée de nombreuses années à Phuktal), enseignant, tuteur pour de nombreux moines qu’il prend sous son aile et accompagnateur montagne réputé (qui s’est coltiné Gilbert Montagné lors de sa venue au Zanskar pour l’émission Rendez Vous en Terres Inconnues…).
L’exploration du monastère terminée, la route se poursuit à travers un défilé rocheux austère, le long de pentes caillouteuses plongeant droit dans les eaux de la Tsarap. Il faut serpenter quelques heures sous le soleil de midi avant d’atteindre le camp dressé par Khim, Bahadur, Tsondus et Gaphel, partis devant. En vis-à-vis, l’immense paroi brune de Yaytah a un aspect écrasant.
14 août | Dantak (3 880 m) – Shade (4 251 m)
Durée : 5 heures 20 ; distance : 16,5 km
Pluie fine. Toujours la Tsarap, toujours la gorge encaissée qui petit à petit s’élargit et débouche sur un semblant de plateau. Le sentier longe la berge, sinue entre les buissons d’argousier et les petits pois sauvages, contournant le village quasi-abandonné de Tantak, les chortens, les murs de mani et les drapeaux de prière.
La vallée de Shade, par comparaison, a des proportions plus « humaines ». Le bruit clair du ruisseau se mêle au crépitement des insectes, les fleurs explosent sur l’herbe verte et le camp est monté sous le soleil et en musique, au rythme de la voix de Tsondus qui tient ce jour-là une forme olympique.
Après la sieste, Tsondus nous entraîne avec Yongdus en direction du minuscule village de Shade, situé un peu plus loin. La maison dans laquelle on s’arrête est celle de l’amchi, le guérisseur et sage du village, frère de la grand-mère de Tsondus (et oncle de la femme de Yongdus…). Comme partout en Asie l’hospitalité est une affaire de thé chaud, auquel s’ajoutent pour cette fois quelques verres de chang (orge fermenté) et d’arak (déclinaison locale de la vodka), accompagnés de l’inévitable tsampa – fourrée discrètement dans les poches du pantalon pour éviter de revivre l’épisode sichuanais de Tagong.
Dans la petite pièce encombrée, le poêle fume, les étagères de bois croulent sous le poids des marmites et de la vaisselle colorée et un coin de mur affiche de grandes pages du Monde Diplomatique en guise de papier peint. Différents mondes se télescopent.
On rebrousse chemin dans la lumière de fin de journée. Une partie de cartes avec Tsondus et chacun file se coucher sous les étoiles. La nuit est claire, la lune immense. Pas un bruit excepté celui des clochettes passées au cou des chevaux, supposé tenir les loups à distance.
15 août | Shade (4 211 m) – Camp de base du Nyalo Kongtse La (4 260 m)
Durée : 4 heures ; distance : 10,8 km
Demi-tour à travers la vallée de Shade et le plateau de Tantak, avant de bifurquer plein Est pour rejoindre une nouvelle portion de la Tsarap. L’ascension se poursuit en direction du camp de base du Nyalo Kongtse La (4 260 m), soutenue mais suffisamment régulière pour être absorbée sans trop de casse.
La vue qui se dessine depuis l’ouverture de la tente est étourdissante : partout des vallées déchiquetées, de hauts pics enneigés et des montagnes recouvertes d’étoffes colorées, les plissés géologiques semblant draper les flancs montagneux à la manière de lourds manteaux.
Face au gigantisme himalayen, le cœur est aux haïkus bien plus qu’aux corps-à-corps épiques ponctuant la littérature montagnarde occidentale. « Sur la pointe d’une herbe, devant l’infini du ciel, une fourmi » (Ozaki Hôsai). L’homme ramené à sa petitesse. Englouti par la montagne.
16 août | Nyalo Kongtse La Base (4 388 m) – Nyalokongtse (4 830 m) – Gotungta La/Gothurstar La (5 140 m) – Hormoche (3 923 m)
Durée : 7 heures 30 ; distance : 17,8 km
Le premier col (4 830 mètres) est franchi au saut du lit. Le Gotungta La (5 140 m), avalé à son tour à la mi-journée après la longue traversée d’un plateau accidenté et deux ou trois passages en balcon vertigineux.
La descente vers le camp d’Hormoche serpente le long de pentes rocheuses hérissées de formations géologiques étranges, éparpillées au milieu d’un torrent d’arbustes tout ronds.
17 août | Hormoche (3 903 m) – Satak (4 020 m)
Durée : 7 heures 30 ; distance : 21,6 km
Les chevaux, effrayés par le passage d’un loup ou d’un léopard, mettent les voiles en pleine nuit vers les hauteurs, dans un tintinnabulement de clochettes. Gaphel se lance à leur poursuite dès l’aube.
De son côté, et pour éviter de franchir la rivière à gué, Yongdus engage le groupe sur un chemin scabreux en surplomb de la Tsarap, en direction d’un nouveau pont en bois brinquebalant. Bahadur et Khim taillent des marches dans la pierraille au fur et à mesure, prêtant un bras ou une main au passage – vite broyés – pour amortir la descente.
Le reste de la journée est une succession de chemins escarpés en balcon, à moitié emportés par les orages des derniers jours. Quand on rejoint finalement le village de Satak vers 16 h, tout le monde est lessivé. Le mercure se refuse obstinément à répondre aux consignes estivales : il neige.
18 août | Satak (4 020 m) – Tsokmetsik (4 085 m)
Durée : 6 heures 50 ; distance : 14,8 km
La pluie tambourine une bonne partie de la nuit sur la toile de tente. Au matin, tout est blanc. Yongdus hésite, envisage une solution de repli en deux jours de marche, à condition que les chemins soient encore praticables.
Pour passer le temps et pour se changer les idées, une expédition est lancée vers le vieux village de Satak, abandonné depuis une quinzaine d’années. Quelques bûches pas trop trempées permettent d’allumer un feu. Tout est mis à sécher, chaussures, chaussettes, imper, doudounes. Tout fume.
Un Indien en tongs se glisse dans la fumée. Il a débarqué la veille avec deux amis et un guide belge directement depuis Manali, en Himachal Pradesh. Il grelotte après avoir passé la nuit dans une maison à moitié effondrée, n’a plus rien à boire – le ruisseau voisin s’est chargé en boue. Yongdus qui vérifie son taux d’oxygène l’engueule. Le demi-tour est obligatoire.
Vers 10 h, le soleil pointe enfin le bout de son nez. On s’en tient au plan initial : direction Tsokmetsik. Le passage redouté est moins engagé que prévu ; la pluie n’a pas tout raviné.
La journée tire en longueur. Le sentier grimpe, descend, grimpe, descend d’un col à l’autre, le long d’un plateau pelé, avant de se décider à plonger en bout de course vers une vallée parcourue d’herbes folles.
A 18 h, on marque enfin l’arrêt.
19 août | Tsokmetsik (4 085 m) – Morang La (5 359 m) – Tak Stago (4 580 m)
Durée : 8 heures 20 ; distance : 18,8 km
Yongdus a été clair : la journée sera la plus difficile du parcours, avec en ligne de mire le col du Morang La, le plus haut point de l’expédition – 5 359 m à l’altimètre. L’ascension est régulière. Quelques franchissements de rivière en sandales, de la pierraille, un temps gris qui progressivement vire à la neige. Le dernier raidillon s’avale dans le blanc. Les yeux s’embuent, le coeur s’emballe. Le paysage est d’une austérité accablante.
On voudrait courir dans la descente mais les jambes sont aussi lourdes que le moral est plombé, la météo jouant avec nos nerfs encore plus que l’altitude.
Au bout de deux heures, on rejoint finalement le camp de Tak Stago, dressé sur une petite plage herbeuse flanquée de deux gardiens de pierre.
Pluie à nouveau, neige et, sous les étoiles, un froid mordant.
20 août | Tak Stago (4 580 m) – Jabuk Yokma (4 365 m)
Durée : 5 heures ; distance : 15 km
Au réveil, le ciel est suffisamment bleu pour faire repartir le moral dans les tours et donner au petit-déjeuner des airs de partie de campagne.
La montée au col et la traversée en surplomb de la rivière Zara Chu sont à leur tour des plus sympathiques, offrant des perspectives splendides sur les vallées environnantes.
Arrivent les fameux passages à gué qui inquiétaient tant Yongdus depuis plusieurs jours. Khim est envoyé en éclaireur, agrippé à un bâton pour sonder le fond de la rivière. Le niveau de l’eau n’est pas aussi élevé que redouté. Le premier franchissement se fait à 5 de front, main dans la main. Le second est une affaire « d’hommes », Fanny, qui commençait à dériver avec le courant, étant placée d’autorité à dos de cheval entre une malle et un seau, claquettes aux pieds et caleçon prêté par Yongdus sur les fesses…
Quelques heures plus tard le vent se lève, balaye les tentes et les tapis de sol. Le camp est démonté, remonté un coin de prairie plus loin. Les rafales s’espacent, la neige s’en mêle. Quatre saisons en l’espace de deux heures. En fin d’après-midi, l’été est de retour.
La tablée de jin ramy compte ce soir-là un nouveau joueur, Gaphel, qui le lendemain lève le camp avec les chevaux. Le trek touche à sa fin.
21 août | Jabuk Yokma (4 365 m) – Yakhang Yokma (4 320 m)
Durée : 2 heures 45 ; distance : 9 km
La dernière matinée de marche est une partie de plaisir. Le soleil brille, la vie revient, le chemin file le long d’ancien camps nomades et de villages en pierre abandonnés, contournant les troupeaux de yaks, serpentant en contrebas de chortens haut perchés et de murs de mani plus prolixes encore qu’ailleurs dans la région. Les parois s’affaissent et s’adoucissent. Un âne sauvage pointe sa tête au-dessus du camp.
Un chauffeur doit rejoindre le camp dans l’après-midi avec des provisions. Les heures ont pourtant beau défiler, pas un véhicule ne s’engage sur la piste.
En fin de journée, Khim, Bahadur, Tsondus et Yongdus font irruption sous la tente mess avec un gâteau au chocolat barré d’un improbable « Happy birthday Fanny » écrit à base de gruyère râpé. 30 ans dans les hauteurs. Un passage parmi d’autres. A 21 h, tout le monde est couché.
30 minutes plus tard, un bruit de moteur résonne dans le lointain. Après avoir passé des heures à faire le tour des vallées voisines sans parvenir à se repérer, le chauffeur perdu a fini par embarquer un berger local emmitouflé dans un énorme manteau de laine pour lui servir de guide.
La soirée d’anniversaire est relancée, en tapant dans la nouvelle cargaison de bières tout juste déchargée du camion. Juste ce qu’il faut pour faire tomber les barrières, s’affranchir des rôles plus ou moins assignés depuis le début du trek et discuter de tout et de rien sans réserve. De l’appartement que Tsondus partage avec Yondgus à Leh, de l’enfant de Khim qui fêtera bientôt ses 5 ans, des trois filles de Bahadur installées dans la périphérie de Katmandou. Du Népal, du Ladakh, de l’Inde, de l’Europe, sans frontières.
22/23 août | Yakhang Yokma – Tso Kar – Tso Moriri – Leh
Les deux derniers jours ont un parfum de fin de vacances. De la vallée de Kharnak, on roule vers le plateau du Rupshu en direction des lacs Tso Kar, Kyagar Tso et Tso Moriri – eaux bleu saphir et sommets flirtant avec les 6 000 mètres en toile de fond.
La route pour regagner Leh est aussi chargée que n’importe quelle autoroute passée le 15 août, à la différence près que les convois militaires remplacent les camping-car, que la deux fois trois voies se limite à une étroite piste carrossable et que la glissière de sécurité file droit dans les eaux de l’Indus. Le chauffeur, malade comme un chien depuis deux jours, ne prête aucune attention au trafic et pique régulièrement du nez vers son volant qu’il utilise comme repose-tête. A l’arrière les habitués font la sieste, imperturbables.
Arrivés dans la banlieue de Leh, Yongdus attrape son sac, balance un au revoir à la cantonnade et se tire sans plus de formalité. Tsondus le suit quelques minutes plus tard, numéro noté sur un petit bout de papier pour se whatsapp-instagramiser une fois retrouvé un semblant de réseau. Dernière tournée de momos avec Khim, Bahadur et Stanzin Chosdan à la Tibetan Kitchen, et le groupe se dissout pour de bon. Julley julley julley !
Partir en trek au Ladakh/Zanskar
Côté ladakhi, quatre treks ont les faveurs des randonneurs :
- Le trek de la Markha Valley, le plus fréquenté : 6 à 8 jours de marche selon que vous partez de Chilling ou de Spituk. Altitude max. : 5 260 mètres ;
- Le trek de la Sham Valley, ou « baby trek », réalisable sur 3 jours. Altitude max. : 3 874 m ;
- Le trek de Spituk à Stok : 3 à 5 jours à travers le parc national d’Hemis. Altitude max. : 4 855 m ;
- Et le trek de la Nubra au départ de Phyang, visiblement plus exigeant que les trois précédents et plus isolé. Comptez 5 jours et une altitude maximum de 5 438 m.
Les trois premiers treks peuvent être effectués en semi-autonomie, sans guide et en dormant le soir dans des homestays. Le trek de la Nubra nécessite lui d’être en autonomie complète.
D’autres itinéraires plus sauvages et moins fréquentés sont réalisables : pour plus d’information, le site de l’agence Ju-Leh est une vraie mine d’or (en français).
Côté Zanskar, la grande traversée était jusque-là considérée comme un des treks les plus prestigieux et les plus sauvages du nord de l’Inde. L’ouverture de nouveaux tronçons routiers devrait toutefois changer la donne. Une route est en cours de construction entre Manali et Padum et la vieille piste carrossable Kargil-Padum devrait à son tour être « consolidée » dans les années à venir. Resteront quelques treks plus difficiles d’accès, non couverts par les routes, comme celui effectué entre Cha et le plateau de Kharnak à l’été 2019.
Un mot d’ailleurs au sujet de ce trek, un des plus beaux qu’on ait réalisés. S’il ne présente aucune difficulté technique réelle, il est néanmoins éprouvant physiquement. Ne vous y aventurez pas si vous êtes sujet au vertige, si vous n’avez pas l’habitude de la marche en montagne ou si vous n’êtes pas accompagnés.
Vous ne trouverez pratiquement aucun village ni aucun monastère une fois le trek débuté, mis à part l’éblouissant monastère de Phuktal, qui justifierait une virée au Zanskar à lui tout seul. Avant de vous attaquer aux montagnes, profitez de la route qui relie Kargil à Padum pour visiter les monastères de Rangdum (XVIIIe), Karsha (XIe – le plus grand du Zanskar) et Stongde (XIe), ainsi que l’ancien palais fortifié de Zangla (XVIIe).
| Passer par une agence ou partir en indépendant ?
Partir en autonomie ne pose aucune difficulté sur les itinéraires les plus empruntés, à condition d’avoir suffisamment d’expérience du trekking en haute montagne. Les treks « classiques » sont facilement repérables sur Maps.me et autres applications GPS, le bivouac est autorisé à condition de respecter cultures et cours d’eau, et le territoire est assez bien maillé pour qu’il soit possible de rejoindre les principaux points de départ et d’arrivée en taxi (vrai côté Ladakh, moins niveau Zanskar). De plus en plus de trekkeurs se dispensent d’ailleurs des services de guides et muletiers locaux, ce qui génère des crispations. L’entêtement des marcheurs à vouloir tout gérer par eux-mêmes a tendance à passer pour un manque de curiosité à l’égard de la culture ladakhie, et une manière de court-circuiter l’emploi local. A vous de peser le pour et le contre avant de vous lancer à l’assaut des pentes himalayennes.
Dans tous les cas, pour les treks les plus longs et/ou les plus isolés, nous vous recommandons de faire appel à une agence, ne serait-ce que pour vous débarrasser du poids des sacs, vous concentrer sur la marche et pouvoir interagir avec les habitants. Une équipe complète comprend le plus souvent un guide, un muletier, un cuisinier et une ou plusieurs « aides de camp ». Pour vous donner un ordre d’idée des prix, nous avons payé chacun 1 325 euros pour 16 jours de trek/voyage « tout confort ».
Vous trouverez à Leh une profusion d’agences, qui proposent plus ou moins les mêmes itinéraires. Nous avons hésité un moment à partir avec Ju-Leh, avant de nous tourner à la dernière minute vers Stanzin Chosdan dont le nom revenait régulièrement sur le forum du Routard. Avec les années, Stanzin s’est bâti une solide réputation de guide, qui lui a permis de monter sa propre agence, Mountain Passage.
S’il continue à courir les sommets au-dessus de 6 000 mètres et à guider les clients d’un bout à l’autre de l’Himalaya, Stanzin ne nous a pas accompagnés directement, l’organisation ayant cette fois été déléguée à Yongdus – qui s’est révélé un guide tout aussi costaud. Ce dernier travaille d’ailleurs à son propre compte. L’homme est parfois bourru, et plus à l’aise avec ses compagnons testeronés qu’avec les femmes, mais il reste un des guides les plus expérimentés du Zanskar.
N’hésitez pas à passer voir Stanzin ou l’équipe de Ju-Leh dans leurs locaux respectifs au centre de Leh : tous sont de bons conseils et pourront vous dépanner en cas de problème.
| Attention à l’altitude
Dernier conseil pour terminer : ne sous-estimez pas l’effet de l’altitude sur votre organisme. Comptez au minimum trois jours d’acclimatation et de repos sur Leh (3 500 mètres) avant d’attaquer les choses sérieuses, à plus forte raison si vous débarquez au Ladakh en avion. Vous n’aurez d’ailleurs pas trop de trois jours pour découvrir la ville et les principaux monastères environnants.
Le mal aigu des montagnes (MAM) frappe de façon aléatoire au-delà de 3 000 mètres. Il est donc possible que vous vous sentiez en pleine forme lors d’un voyage au Népal, puis que vous vous retrouviez KO au Ladakh la fois suivante. Le MAM se manifeste le plus souvent par des maux de tête, de la fatigue, des insomnies, une perte d’appétit et un essoufflement, y compris au repos. En cas de nausées ou de douleurs persistantes, stoppez la progression en altitude et arrêtez-vous un jour ou deux. Si votre état continue de se dégrader (vomissements importants, troubles neurologiques), redescendez sans tarder. Des complications graves peuvent survenir (œdème cérébral ou pulmonaire), qui sont parfois fatales.
En règle générale, veillez à bien vous hydrater et à respecter une différence d’altitude moyenne de 400 mètres entre deux nuits à plus de 3 500 mètres, notamment en début de séjour. Essayez aussi, dans la mesure du possible, de dormir plus bas que le point le plus élevé atteint dans la journée.
Certains médecins vous recommanderont peut-être le recours au Diamox. Dans la majorité des cas, et si l’acclimatation se fait correctement, son utilisation ne sera toutefois pas justifiée. Les effets secondaires induits par le Diamox étant loin d’être anecdotiques, évitez l’auto-médication et réservez le médicament aux situations les plus problématiques (cad pour diminuer les symptômes du MAM et non comme moyen de prévention). Pour plus d’infos : consultez la fiche réalisée par la FFME à ce sujet.
Zanskar – août 2019
2 Comments
mettefeu
hello bravo pour ce beau reportage qui fait découvrir ces régions d’altitude je cherche un sommet facile de 5000 m?…
Fanny
Aïe, on ne saura pas vous renseigner sur ce point puisque nous n’avons effectué aucune ascension dans la région – et on préfère ne pas s’avancer, trop de paramètres entrent en jeu quand il s’agit d’alpinisme. Le mieux est de voir avec Stanzin, dont on donne le contact dans l’article : il a de très nombreux sommets himalayens à son actif.