Inde

Amritsar | Détour pendjabi

Au moment de tracer l’itinéraire de nos 11 mois asiatiques, on avait envisagé l’idée d’explorer les montagnes du nord Pakistan – sans succès vu le casse-tête administratif et les incompatibilités de visas. De passage à Delhi quelques mois plus tard, on se lance dans un aller-retour éclair vers le Pendjab, du côté d’Amritsar et de cette frontière indo-pakistanaise qui agit sur nous comme un aimant.

Pèlerins temple d'or d'Amritsar

Derrière la vitre du train, la région est une explosion de verts sur fond d’orage. Les nuages crèvent par intermittence, les bourrasques de vent basculent le paysage à l’horizontal et le train régulièrement doit se mettre à l’arrêt en pleine voie. La mousson n’a pas encore abdiqué, plongeant le Pendjab dans un déluge tropical.

Derrière l’épais rideau de pluie et les gerbes d’eau soulevées par les coups de pédale des rickshaws se dessinent des villes aux rues inondées. Pantalons retroussés, les gens marchent le long des voies, se lavent, regardent passer les trains, croisant de loin en loin des vaches assoupies au milieu d’un flot sans fin de déchets, sans que la pluie paraisse avoir de prise sur qui ou quoi que ce soit.

Enceinte du temple d'or Amritsar

Le ciel allégé, les aigrettes reprennent leur envol et les enfants le chemin des champs, poussant à la baguette des troupeaux de buffles au pas lent. Partout des rizières luisent dans les éclaircies, d’immenses étendues de canne à sucre, des champs de coton et des champs de blé à perte de vue. Plus loin, les huttes de stockage en paille et les maisons en terre battue s’estompent à l’approche des agglomérations, remplacées par des cubes de béton et une ribambelle de dômes colorés jetée en pagaille au-dessus des toits. La vie en bordure de rail a ses codes et ses habitués. Ses rituels : chaises en plastique disposées comme au théâtre, charpoy tressés prêts pour la sieste, pelotes de barbelés devenues cordes à linge, toilettes improvisées.

Foule de femmes dansant Wagah border

Amritsar elle aussi est sous l’eau et les chauffeurs de taxi, réfugiés sous l’auvent de la gare, tuent le temps en engageant de grandes conversations sur le cours de la vie. Malgré toute la bonne volonté déployée pour nous retenir, impossible de s’éterniser : il reste deux heures pour rejoindre la frontière et trouver une place dans les gradins de Wagah avant le début de la cérémonie…

Wagah border : cap sur la frontière

Amritsar (en Inde) n’est distante de Lahore (au Pakistan) que d’une cinquantaine de kilomètres. La partition de 1947 est pourtant venue trancher net les liens qui unissaient autrefois les deux cités pendjabies, catapultant au milieu du chemin un poste-frontière verrou, désormais seul point de passage terrestre entre l’Inde et le Pakistan.

Gardes indiens Wagah border

Quand survient l’indépendance et le découpage à la hâte de la province, 240 000 sikhs et hindous sont chassés de Lahore vers la partie orientale du Pendjab. Le mouvement se reproduit à l’identique à Amritsar, avec la fuite de 400 000 musulmans en direction du Pendjab occidental pakistanais. Au total, les deux villes perdent respectivement le tiers et la moitié de leurs habitants dans ces transferts forcés de population, qui coûtent la vie à près d’un million de civils.

Public sikh à Wagah border

De centres économiques majeurs, Lahore et Amritsar deviennent des villes-frontière, contraintes de déporter leur centre de gravité de plusieurs centaines de kilomètres, vers Islamabad pour l’une, Delhi pour l’autre.

Depuis les deux voisines se tournent le dos, ne se retrouvant le soir venu que pour mieux se toiser au cours d’une cérémonie de clôture de frontière indéfinissable, sorte de show militaro-bollywoodien. Les gradins sont combles, la foule en délire chauffée à blanc par un animateur qui exacerbe la fibre patriotique du public. « Hindustan ! », « Pakistan ! » se répondent en écho de part et d’autre de la ligne de démarcation, des milliers de spectateurs attendant l’entrée en scène des héros de la soirée dans un vacarme assourdissant.

Des femmes défilent avec des drapeaux indiens à Wagah border
Wagah border
Défilé de la garde côté indien Wagah border
Public indien Wagah border
Gardes indiens Wagah
La frontière indo-pakistanaise a beau être une des plus militarisée au monde, à Wagah le conflit se règle à coup de grimaces, de torses bombés et de jambes en l’air

Wagah border : conseils pratiques

  • La cérémonie de fermeture de la frontière se tient chaque jour en fin d’après-midi. Visez d’arriver sur place dès 16 h 30 pour vous imprégner de l’ambiance, aussi étonnante que la cérémonie en elle-même. La parade et le baisser de drapeau interviennent aux alentours de 18 h.
  • Aucune difficulté pour récupérer un siège, si vous arrivez suffisamment tôt : une tribune est réservée aux visiteurs étrangers et « VIP », vers laquelle on vous orientera.
  • Transports : la « Attari-Wagah border » se rejoint facilement en minivan depuis le centre-ville d’Amritsar, situé à 35 km de la frontière. Un départ se fait chaque jour vers 15 h, au niveau de la porte Est du Temple d’Or (environ 250 roupies par personne). Si vous arrivez trop tard sur Amritsar et que vous ratez la navette, demandez à votre hôtel d’organiser l’aller/retour en taxi (2 500 roupies par véhicule, temps d’attente compris). Évitez en revanche de passer par Uber ou Ola car les prix s’envolent rapidement.
  • La surveillance a été renforcée depuis l’attentat-suicide de 2014 et la situation est globalement stable sur place. Malgré tout, la zone frontalière restant sujette à tension, renseignez-vous avant de prendre la route.
Gardes indiens Wagah

Le Temple d’Or

Plus que pour la très nationaliste et surréaliste cérémonie de fermeture de frontière, mise en tourisme au début des années 2000, les visiteurs qui se pressent à Amritsar le font d’abord pour se recueillir au Temple d’Or, le centre spirituel du sikhisme.

Recouvert de feuilles d’or et d’argent, l’Harmandir Sahib renferme les écrits les plus importants de la religion sikhe. Il se dresse au centre d’un bassin de forme carré, l’Amrit Sarovar, réputé pour ses pouvoirs de guérison. Un immense complexe en marbre blanc ceinture l’édifice, comprenant, en plus des espaces de prière, plusieurs bâtiments administratifs, une cuisine, des réfectoires, des dortoirs et un musée.

Temple d'or Amritsar
Pèlerins dans l'enceinte du temple d'or à Amritsar
Pèlerins dans l'enceinte du temple d'or à Amritsar

On ne connaît strictement rien au sikhisme quand on débarque à Amritsar – tout juste une histoire de turbans colorés et de cheveux jamais coupés… Avec 22 millions d’adeptes, installés majoritairement au Pendjab, le sikhisme est pourtant la cinquième religion au monde.

Le mouvement est créé au XVIe siècle par un homme originaire de la région de Lahore, Guru Nanak (1469-1539), qui à la suite d’une révélation spirituelle, se lance sur les routes du monde. Nanak voyage à travers tout le sous-continent indien, au Tibet, en Afghanistan, en Perse, jusqu’à La Mecque où il prêche la tolérance et l’union entre les religions avec un credo : il n’existe ni hindous ni musulmans mais des « disciples » (« sikh » en sanskrit). Autour de Guru Nanak se forme une communauté qui à sa mort consolide son enseignement. Dix « gourous » (maîtres spirituels) se succèdent au total jusqu’en 1708, posant les bases du sikhisme.

Chœurs masculins dans l'enceinte du temple d'or

Fin XVIe/début XVIIe, le cinquième gourou fait construire le Temple d’Or à Amritsar et compile l’ensemble des écrits sacrés au sein d’un livre, l’Adi Granth, rebaptisé « Guru Granth Sahib » à la mort du dixième gourou vivant – devenant de facto un gourou à part entière, le onzième et dernier d’entre eux.

Plus les années passent et plus le pacifisme prôné par Guru Nanak fait néanmoins place à un engagement armé, que le dixième et dernier gourou vivant, Gobind Singh, justifie par les persécutions auxquelles la communauté sikhe est régulièrement confrontée. Défaits par les Moghols à la fin du XVIIe siècle, les sikhs trouvent refuge dans le Pendjab où ils établissent un État indépendant au tournant du XIXe siècle.

Foule de pèlerins dans l'enceinte du temple d'or à Amritsar
En longue tunique bleue nuit, les moines-guerriers nihang (« crocodiles » en persan, « sans peur » en sanskrit) forment un ordre militaire et religieux à part, se réclamant du dixième et dernier maître spirituel, Guru Gobind Singh

En 1919, les soldats britanniques ouvrent le feu sur plusieurs milliers de personnes rassemblées pacifiquement dans les jardins Jallianwala d’Amritsar pour dénoncer le durcissement de la politique coloniale. Des centaines de manifestants sont tués.

La partition de l’empire des Indes en 1947 donne à son tour lieu à d’importantes tractations, qui rapidement dégénèrent. Constatant que le découpage territorial retenu épouse des contours religieux, les sikhs s’invitent à la table des négociations afin d’obtenir la formation d’un État indépendant. Leur trop faible démographie (ils ne constituent que 14 % de la population totale de la province) ne leur permet toutefois pas d’être pris au sérieux et le Pendjab, leur territoire historique, se trouve déchiré entre Inde et Pakistan. Le processus débouche sur la migration forcée de plusieurs millions de musulmans, sikhs et hindous qui fuient de part et d’autre de la frontière.

Foule de pèlerins dans l'enceinte du temple d'or à Amritsar

Trente ans plus tard le Pendjab oriental, majoritairement sikh et rattaché à l’État indien, sombre dans une nouvelle spirale de violence. Aux fondamentalistes enfermés dans le Temple d’Or qui réclament une fois de plus la création d’un État sikh théocratique indépendant (le Khalistan), l’armée indienne répond par les armes en 1984. L’opération « Blue Star » cause la mort de plusieurs centaines de civils, pris au piège à l’intérieur du complexe en état de siège.

Temple d'or d'Amritsar

En représailles Indira Gandhi, la première ministre indienne, est assassinée quelques mois plus tard par deux de ses gardes du corps sikhs à son domicile. L’assassinat se solde par trois journées d’émeutes au cours desquelles plusieurs milliers de sikhs sont massacrés dans les rues de Delhi. Au total, la décennie noire 1984/1994 coûte la vie à plus de 20 000 personnes et il faudra attendre la fin des années 1990 pour que la situation s’apaise et que s’éloigne enfin le spectre d’un Khalistan sectaire et violent.

Jeunes femmes sikhes
Un homme assis devant le bassin sacré Amrit Sarovar et le temple d'or

Le sikhisme que l’on découvre à Amritsar, débarrassé de ses penchants les plus radicaux, place au centre de son enseignement spirituel les principes de générosité et de fraternité, prônant une conception égalitaire de la communauté humaine. Le gurdwara (le lieu de culte) se veut ainsi un lieu d’accueil ouvert à tous, sans considération de nationalité, de religion ou de caste.

Accueil du temple d'or la nuit

Il suffit pour s’en convaincre de s’aventurer du côté du Guru-ka-Langar, l’immense réfectoire du temple, où des milliers de repas sont servis gratuitement chaque jour aux personnes de passage. Sur les nattes du réfectoire, toute distinction sociale vole en éclats : riches et pauvres, sikhs et hindous, brahmanes et dalit se retrouvent assis côte à côte à même le sol, partageant un seul et même repas – une révolution dans un pays où castes et classes sont le plus souvent imperméables les unes aux autres.

Un pèlerin sikh devant le temple d'or à Amritsar

L’ambiance du Temple d’Or nous fascine à tel point qu’on passe finalement une soirée et une matinée entières sur place, à tourner autour du bassin, regarder les fidèles se baigner dans les eaux sacrées de l’Amrit Sarovar, tourner et tourner encore, écouter les chœurs psalmodier l’Adi Granth, s’arrêter, s’assoupir sous les arcades, partager un repas dans la grande salle du Guru-ka-Langar et repartir faire la queue pendant plus d’une heure pour accéder au saint des saints, et tant pis si on n’en saisit pas toute la portée…

Temple d'Or d'Amritsar de nuit
Pèlerins dans l'enceinte du temple d'or à Amritsar
Des pèlerins marchent le long du bassin sacré dans l'enceinte du temple d'or
Temple d'Or Amritsar
Un homme marche le long du bassin sacré dans l'enceinte du temple d'or
Chanteurs sikhs temple d'or

Visiter le Temple d’Or : conseils pratiques

  • Une seule consigne pour accéder au temple : se couvrir la tête et marcher pieds nus (nettoyés après passage par le pédiluve).
  • Si vous avez le temps, faites un tour par l’immense réfectoire du temple. Le repas pris en commun est une composante à part entière du pèlerinage et permet de ressentir encore différemment l’atmosphère si particulière des lieux. Attrapez une assiette en métal, asseyez-vous par terre à la suite de vos voisins, posez le plateau devant vous et attendez que l’on vienne vous servir. Il est également possible de dormir dans le complexe.

Visiter Amritsar : autres infos pratiques

La ville d’Amritsar est une ville indienne comme tant d’autres, encombrée et pas particulièrement belle. Elle a au moins le mérite de ne pas être oppressante, ce qui fera du bien aux voyageurs en provenance de Delhi. Nous n’avons pas pris le temps de visiter autre chose que le Temple d’Or, mais la région mérite bien une pause prolongée.

Transports

Pour rejoindre Amritsar depuis Delhi, comptez 4 heures 15 de trajet en train rapide (avec, si vous voyagez en « première » ou « deuxième » classe, petit-déjeuner, déjeuner, chaï et café compris – tout un programme…).

En ville, et comme partout ailleurs, les taxis Ola et Uber sont d’une grande aide pour se déplacer sans avoir à passer par la case « négociation des prix ». Attention toutefois, les taxis Ola et Uber ne sont pas autorisés à circuler dans l’enceinte même de la gare.

Une chambre

Les options sont limitées. L’Amritsar Grand fait l’affaire pour une ou deux nuits : l’hôtel est propre et très bien situé pour visiter le Temple d’Or.

Une cantine

Bien sûr vous pourrez manger (et devriez manger) au Temple d’Or. Mais tant qu’à être à Amritsar, goûtez également aux « Amritsari kulcha », la spécialité locale servie dans n’importe quelle gargote un peu fréquentée à proximité du temple. Un régal.

Amritsar – septembre 2019

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