Khajuraho : la sensualité et le divin
Après quelques jours passés dans les ruines de la petite cité médiévale d’Orchha, nous voilà embarqués pour une nouvelle portion de route en direction de Khajuraho, toujours dans le Madhya Pradesh. Un trajet indien comme tant d’autres fait de nids-de-poule, de camions et bus surexcités déboulant dans un torrent de klaxon et de poussière en leur qualité de maîtres de la route, de vaches endormies au milieu de la chaussée et, progressant en bord de piste sans se préoccuper le moins du monde du bordel ambiant, de petits groupes de femmes en sari avec de lourdes jarres posées en équilibre sur la tête. Un cocktail inde-scriptible, tellement puissant que l’on file se réfugier à l’hôtel dès notre arrivée, sans même prendre le temps d’explorer les environs le premier jour…
La ville aux 80 temples
Khajuraho est une pure étape touristique. Un village musée labellisé Unesco et figé dans le temps, réputé dans tout le sous-continent pour ses temples époustouflants. Un arrêt se prêtant finalement moins à la rencontre et à l’imprévu qu’à la contemplation.
Des temples, on en a vu en pagaille d’un bout à l’autre de l’Asie – des temples dorés, des temples en marbre, des temples en granit ou en bois, des temples à toit pointu ou à toit recourbé, des temples ornés de dragons ou de monstres grimaçants, des temples plongés dans la pénombre ou brillant de mille feux… Malgré tout, jamais nous ne nous sommes retrouvés face à une telle profusion de bas-reliefs, et surtout de bas-reliefs érotiques, en apparence totalement détonants dans un environnement religieux.
Les temples de Khajuraho sont construits entre le Xe et le XIIe siècles par la dynastie des Chandella, une maison princière rajpoute qui durant près de 500 ans (IXe/XIIIe) domine tout le centre de l’Inde. Pillée par les troupes musulmanes au XIVe siècle, la cité est abandonnée et engloutie par la jungle puis redécouverte tardivement par les Britanniques au XIXe siècle. Aujourd’hui, et sur les quelques 85 temples que comptait Khajuraho à l’origine, la ville conserve une vingtaine de monuments (23 pour être précis, dont une structure partiellement excavée), répartis en trois groupes distincts : ouest, est et sud.
Sexe, amour et fusion divine
Les temples de Khajuraho, qui appartiennent à deux grands courants religieux, l’hindouisme et le jaïnisme, sont bâtis selon un même modèle architectural. Tous sont construits en grès, coiffés d’imposantes tours (sikhara) symbolisant le mont Kailasa (la demeure mythique des dieux), positionnés sur de hautes plateformes en terrasse et recouverts de sculptures à foison. Ces bas-reliefs, d’une finesse incroyable, évoquent aussi bien des scènes de divertissement ou de culte que des scènes de la vie de tous les jours à l’époque Chandella. Y sont représentés toute une ribambelle de personnages distincts (rois, guerriers, divinités, nymphes, danseuses, animaux sacrés) saisis « sur le vif » dans leur gestes du quotidien.
Et les représentations érotiques alors ? On serait presque tenter de les réduire à un argument marketing… N’en déplaise aux voyageurs aimantés par le côté très kamasutresque de la chose, les scènes de masturbation/zoophilie/sexe oral/parties de jambes en l’air collectives – très explicites et qui attireraient près de 90 % des visiteurs – ne représentent au final qu’une toute petite partie du décor sculpté, moins de 10 % selon les estimations.
Difficile d’en comprendre la signification, personne ne parvenant à se mettre d’accord sur une explication… Dans l’idée, grosso modo, l’hindouisme voit l’acte sexuel comme une union symbolique : l’imbrication des « principe masculin » et « principe féminin » et la fusion entre l’âme du pratiquant et la divinité. Ce qui revient à dire que ces images, aussi explicites soient-elles, n’ont en fait qu’une fonction : stimuler l’activité mentale (et uniquement mentale…) de l’adorateur et permettre à ce dernier de ne former plus qu’un avec l’objet de son culte. Une sorte d’extase spirituelle engendrée par le processus de méditation…
Voilà pour la tentative d’éclaircissement. Pourquoi alors un tel souci du détail, et pourquoi cet affichage à la vue de tous s’il s’agit d’enseignements tantriques, donc de rituels secrets, réservés aux initiés ? Personne n’en sait rien. A vous donc de creuser le sujet et de vous faire votre propre opinion…
D’un groupe à l’autre, à travers la campagne
La partie la plus fréquentée de Khajuraho correspond à la « ville » nouvelle – une grande voie bordée d’hôtels, de magasins, de restaurants et de rabatteurs. C’est ici que se dressent les temples les plus impressionnants de Khajuraho (ceux du « groupe ouest ») et certains des plus anciens (Xe siècle), dont les somptueux temples de Lakshmana et Kandariya Mahadeva.
Un peu plus loin à l’est se trouve le vieux village de Khajuraho et une poignée de temples disséminés au milieu des champs, avec pour seuls gardiens quelques buffles et aigrettes. Ces temples des « groupes est » et « sud » abritent galement des trésors, parmi lesquels le merveilleux temple jaïn de Parshvanath, qui exhibe avec fierté ses sculptures poétiques – une danseuse se contorsionnant pour s’ôter une épine du pied, une autre s’appliquant du khôl à l’aide d’un miroir… Quitte à être dans le coin, les temples Vamana et Javari méritent eux aussi le coup d’œil.
Beaucoup de voyageurs vantent les charmes du petit village de Khajuraho et les rencontres qui ne manquent jamais de s’y produire. De notre côté, nous avons trouvé l’accueil cordial, les « namaste » nombreux et les signes de tête amicaux mais sans trop nous faire d’illusions. Derrière les grands sourires des enfants reviennent toujours les mêmes mots usés. Pen, candies, money.
Ce qui nous ramène à notre constat initial. Les temples de Khajuraho sont certainement parmi les plus fascinants d’Inde et leur découverte est un pur enchantement pour les yeux. Mais comme c’est le cas dans tous les lieux qui vivent principalement du tourisme, le facteur humain tend à passer en arrière plan et les possibilités d’échanges sont finalement bien peu nombreuses… Dommage !
Explorer Khajuraho : conseils pratiques
| Visites
Si vous visitez le site en haute saison, visez d’arriver dès l’ouverture des temples (6 heures du matin) pour éviter la foule. En septembre et sous la pluie, nous n’avons croisé qu’une petite dizaine de touristes en pleine journée… Les temples du « groupe ouest » (les plus beaux) sont payants : comptez 600 roupies par personne. Pour ce qui est des « groupes sud » et « est », deux heures suffisent pour en faire le tour. Un taxi depuis la ville nouvelle jusqu’au Vamana Temple vous reviendra à 100 roupies environ. Le reste de la visite peut se faire à pied (temples Vamana et Javari, vieux village de Khajuraho, temples jaïns), et il ne vous faudra pas plus d’une vingtaine de minutes de marche pour retourner vers le « groupe ouest ».
Si vous avez le temps, faites également un tour au musée archéologique, situé à proximité des temples du « groupe ouest ». La scénographie est plutôt spartiate, les collections pas particulièrement bien mises en valeur mais vous trouverez ça et là quelques sculptures superbes.
| Une cantine
S’il ne faut retenir qu’une adresse, foncez vers le Badri Seth Marwadi Bhoj situé à deux pas des temples ouest – selon nous le meilleur restaurant de Khajuraho. Tout y est : un décor sans prétention (cantine locale planquée en sous-sol), une fréquentation uniquement indienne et des plats divins. Dans un autre registre, plus en vogue auprès des touristes occidentaux, vous pouvez également tenter votre chance au Guru Kripa, pas mauvais non plus !
| Une chambre
Par manque de choix, peut-être en raison de la basse saison, nous n’avons pas trouvé d’autre endroit où faire étape que le Lalit Traveller, voisin de l’hôtel de luxe Lalit Temple View. Avantages : l’hôtel est tout proche du musée archéologique et des temples du « groupe ouest », et la possibilité de piquer une tête dans la piscine entre deux visites est appréciable en cas de forte chaleur… En revanche, le cadre est plutôt impersonnel (mais c’est une question de goût, nous ne sommes pas des aficionados des grands hôtels) et le rapport qualité-prix relativement moyen si vous ne bénéficiez pas d’une réduction.
| Trajets
Comptez 4 heures 30 de route entre Orchha et Khajuraho. Vous pouvez tout à fait parcourir le trajet en train, mais malgré l’état défoncé des routes, vous aurez plus vite fait de grimper dans une voiture et d’affronter les cahots. Si vous poursuivez ensuite vers Varanasi, un train de nuit quitte chaque soir Khajuraho et rejoint Bénarès le lendemain matin. La course pour gagner la gare routière est normalement facturée entre 200 et 300 roupies, mais tout dépendra de vos talents en matière de négociation…
Khajuraho – septembre 2019