Varanasi : Mort sur le Gange
La mousson est terminée en septembre à Varanasi. La pluie qui tombe sans discontinuer depuis plusieurs jours est plus redoutable encore. « Pire que la mousson », répète Manjeet. Des trombes d’eau se déversent dans des rues qui n’ont plus de rues que le nom. La ville entière se dissout, offerte à la pluie et au Gange.
Il n’y a plus à Varanasi ni ghats, ni bateaux, ni baigneurs. Plus de limite entre la ville et le fleuve. L’eau noirâtre qui s’est emparée des ruelles étroites et des rues pentues façonne une nouvelle géographie urbaine. Tout dérive et prend le large, salades, chaussures, déchets, hommes et bêtes. Les arbres ploient sous l’orage. Saris et dhotis collent au corps. La pluie tient la ville en étau ; Varanasi est devenue une ville flottante.
De la Bénarès intemporelle, cœur battant de l’hindouisme, chef d’œuvre des films de Satyajit Ray, ne reste qu’un enchevêtrement d’images aux contours acérés, cernés par le gris d’orage du ciel. Des fragments de Varanasi.
On ne voit plus que cela : les vaches, les chiens, les geckos, les amas d’ordures, les singes qui se répondent de terrasses en balcons, la misère livrée à la pluie, les anciens quartiers éventrés, les monceaux de gravats, les rues embouteillées, l’orange des temples à Hanuman, le rouge des déesses Durga et Sati, les sadhus étendus sous les porches pour échapper au déluge, le va-et-vient des métiers à tisser du quartier musulman dans la pénombre, les fleurs détrempées des cortèges, la chaleur brûlante des brasiers, le feu, les visages tendus, les regards tournés vers le fleuve boueux, les corps qui se consument à Manikarnika et l’enfant minuscule dont les cheveux tombent par poignées sous les coups de tondeuse du barbier. Pas une larme. Trop d’eau déjà partout. Sans fuite possible, la ville s’est rétrécie.
Découvrir Varanasi/Bénarès
Varanasi est invraisemblable, mystique et étouffante à part égale. Certains se sentiront envoûtés, d’autres auront envie de prendre leurs jambes à leur cou sitôt arrivés. Tout dépendra du contexte, du moment où vous découvrez la ville, de votre disponibilité et de la quantité d’eau qui dégringole du ciel.
« Bénarès », une des plus anciennes villes du pays, est aussi l’une des plus saintes, considérée comme la capitale spirituelle de l’hindouisme. Résultat, Varanasi est la ville d’Inde qui attire le plus de pèlerins, venus de tout le sous-continent pour se purifier dans les eaux du Gange (supposées laver tous les péchés) ou pousser leur dernier soupir.
La « cité de la lumière » aurait été fondée par Shiva et peuplée continuellement depuis le VIe siècle avant J.-C., s’imposant au fil des siècles comme un important centre d’étude et de culture, au croisement des routes commerciales et religieuses.
| Visiter la ville de Varanasi
La principale recommandation que nous pouvons vous faire, que vous débarquiez sous des trombes d’eau ou à la saison sèche, est de découvrir la ville en compagnie d’un guide. Sans Manjeet, qui nous a conduits à travers Varanasi durant deux jours, la ville nous aurait submergés bien davantage encore, sans que nous soyons en mesure de la comprendre et de l’apprécier. Jetez un œil sur internet, vous verrez que les commentaires dithyrambiques à son égard ne manquent pas.
Pour le reste, visiter Varanasi est plus une question d’ambiance et de déambulation que « d’incontournables » à cocher, même si tout le monde vous parlera des tours en bateau sur le Gange au petit matin, des bains de foule sur les ghats, des crémations ou des cérémonies du feu à la nuit tombée…
- Immenses gradins plongeant droit dans le fleuve, les ghats sont le lieu privilégié pour la réalisation des ablutions rituelles. En septembre 2019, pas un baigneur sous la pluie torrentielle, pas de sages en méditation, de yogis ou de sadhus en position du lotus attendant les photographes, pas de photographes non plus d’ailleurs. Ne reste qu’une volée de marche avalée par les eaux boueuses du Gange.
- Si vous décidez de faire un tour du côté de Manikarnika et des grands ghats de crémation, faites-le avec toute la retenue et le respect qu’impose le lieu. Ne gênez pas le déroulement des célébrations et abstenez-vous de prendre des photos. Les brasiers ne sont pas des endroits « tristes » pour autant, la mort étant avant tout perçue comme un passage…
Mourir et être incinéré à Varanasi permet de mettre un terme aux cycles des réincarnations et d’atteindre instantanément le moksha, la « libération ». Le temps de la crémation répond à un rituel précis : un guide vous permettra de trouver la distance appropriée, de mieux comprendre le rapport que les hindous entretiennent avec la mort ainsi que les différentes étapes de la crémation, de la tonte des cheveux pour celui qui conduit la cérémonie à la dépose des cendres dans le fleuve. La mort est omniprésente à Varanasi et ne trouble personne.
- Rituel de l’aarti : la cérémonie, placée sous le signe du feu et conduite en l’honneur de la déesse Ganga, est organisée chaque soir à 18 h 45 à Dashashwamedh Ghat. Si le ciel se déchaine et que le ghat est sous l’eau, vous ne connaîtrez le lieu de la puja qu’en toute dernière minute – le plus souvent sur le toit d’un immeuble de la vieille ville.
| Une chambre
On ne vous recommande pas notre hostel On the Ghat by Howdy qui, malgré tous les bons commentaires reçus, ne nous a pas laissés un souvenir impérissable, loin de là… Tout y était trempé, comme partout en ville. Varanasi a beau être une des étapes les plus populaires d’un voyage en Inde, en matière de logement l’offre est loin d’être sensationnelle…
| Une cantine
Nous avons testé de nombreuses adresses toutes différentes et plutôt bonnes : Aadha Aadha Cafe, Bowl of Compassion, Baati Chokha, Cafe Jyoti, Shree Cafe… Côté sucré, ne passez pas à côté du Blue Lassi, une institution en ville.
| Se déplacer
Sur Varanasi même, l’exploration se fait essentiellement à pied, plus un coup de rickshaw ou un tour de bateau pour rejoindre les ghats les plus excentrés.
Pour circuler d’une ville à l’autre (vers/depuis Khajuraho, Lucknow…), la meilleure solution est de prendre le train, et notamment le train de nuit pour les trajets les plus longs. Quelle que soit votre provenance, attendez-vous à être cueillis à votre arrivée à Varanasi par une ville engorgée, bruyante et bordélique. Laissez-vous suffisamment de temps pour tenter d’appréhender cette dernière.
Varanasi – septembre 2019