Hanoï, dégradé de gris
Celui qui déclarait que le début d’année ne se prêtait pas à l’exploration du nord-Vietnam n’avait sûrement pas tort. Le temps, d’un coup, fait machine arrière. Du plein été de février sur les rives du Mékong, la courbe s’inverse vers l’automne le plus maussade que mars puisse offrir. Un « automne » gris, pluvieux et triste.
On aurait voulu aimer Hanoï, que l’on imaginait comme une ville à la fois populaire et brute, underground et non conformiste, loin des immenses avenues internationales d’Hô-Chi-Minh Ville/Saigon.
Pendant cinq jours on a tout essayé. Gagner le vieux quartier, en arpenter les rues en tous sens, slalomer entre les temples enfumés, les festivals et les « 36 corporations » (traditionnellement, une rue par corporation), parcourir le Pont Long Biên, profiter de la cuisine de rue, calés sur nos micro-tabourets en plastique. Partir marcher, aussi, le long des lignes de train, à la recherche de street art, et tout autour du lac Hoàn Kiếm. Se perdre dans les couloirs du Musée des Beaux-Arts et dans ceux du Musée d’ethnographie.
Mais jamais on ne parvient à échapper totalement à cette chape de plomb qui écrase la ville, ni aux nuées de scooters aux klaxons assourdissants. La capitale est grise, un gris sans fin barbouillant jusqu’à la façade de la cathédrale Saint-Joseph.
Il y a à Hanoï à ce moment là, dans ce vieux quartier aux influences plus chinoises que sud-est asiatiques, quelque chose des films de Zhang Yimou ou de Jia Zhang-Ke. Une noirceur poisseuse. Une série d’immeubles déglingués, de cages d’escalier aux néons vacillants, de devantures rouillées. Des femmes aux fichus noués autour de la tête, dissimulées sous d’épaisses doudounes – Gong Li devenue Qiu Ju. Loin des représentations solaires du Vietnam de carte postale. Loin de ce cinéma vietnamien à peine esquissé en France (Mekong Stories, Odeur de la Papaye Vert, portraits d’un Sud en perte de vitesse).
Alors les passeports laissés entre les mains de l’ambassade de Chine, on décide de fuir la ville. S’extirper de cette mélancolie pour quelques jours.
Au retour, Hanoï n’a pas tout à fait renoué avec le printemps. Mais au milieu du gris, la ville petit à petit se redessine – par touche de couleur.
Peut-être s’y est-on mal pris. Peut-être qu’après tout, Hanoï ne se visite pas. Peut-être faut-il habiter la ville.
Un matin, un peu par hasard, on se retrouve du côté de Tây Hồ, le lac de l’Ouest, pour un rendez-vous pris chez l’ostéopathe. Le ton change, le temps aussi. De touristes on s’imagine « expats ». La marche reprend à travers la ville ; les quartiers s’enchaînent, les arrêts, sans but précis. Les ruelles de Truch Bach et les tabourets du Phuo Cuon Huong Mai à l’heure du déjeuner. Les trottoirs ombragés de l’avenue Phan Đình Phùng et les cafés juchés sur la terrasse du Tranquil Books & Coffee, face à l’église jaune safran de Cua Bac. L’ambiance décalée de la Manzi Art Space en fin d’après-midi. Les « kem karamen » et « chè » coconut attablés dans l’arrière-boutique de Minci Pudding. Tây Hồ de nouveau. Deux plats végétariens chez Minh Chay avant de plonger à la nuit tombée dans l’ambiance électrique et enfumée du Hanoï City Rock – la voix de SheS portant loin, très loin, hors des murs de la ville.
Alors Hanoï enfin se déploie. Loin des foules, loin des klaxons. Hanoï aux murs jaunes écaillés, aux balcons en fer forgé, aux fleurs exotiques. Hanoï sous le chant des oiseaux en cage et les riffs de guitare énervés faisant voler en éclats la grisaille ambiante, une fois pour toutes.
Hanoï : informations pratiques
On a visité bien peu de choses au regard du temps passé sur place et de tout ce que la ville a à offrir…
- Le Musée d’ethnographie a été un vrai coup de cœur. Le Musée des Beaux-Arts nous a également bien plu, notamment la section consacrée à l’ancien royaume Champa et les statues en bois laqué du rez-de-chaussée, splendides. En revanche, si certaines des œuvres de « propagande » mises en avant ont un réel intérêt esthétique et historique, le nombre important de salles qui leur est consacré a fini par nous lasser. Un dernier musée nous faisait de l’œil, le Musée des Femmes du Vietnam, finalement laissé de côté « faute de temps ». On se rattrapera si l’on retourne un jour à Hanoï.
- Pour ce qui est des temples, ne manquez pas celui de la Littérature, dédié à Confucius et qui servit de première université au pays au XIe siècle, et le temple Bach Ma, le plus ancien de la ville.
- Parmi les incontournables également contournés : la cité impériale de Thang Long, classée à l’UNESCO, et le mausolée de Hô-Chi-Minh.
- Pour le reste, visiter Hanoï est avant tout une question d’ambiance et d’exploration. Il vous sera difficile de passer à côté du vieux quartier et de ses 36 corporations (ne ratez pas l’ancienne maison du 87 Mã Mây au passage), mais les quartiers de Truch Bach, Ba Đình, Tây Hồ et le « quartier français » méritent tout autant une visite prolongée.
- Où loger : on a passé un long moment au Little Charm Hostel, au cœur du vieux quartier, puis dans un Airbnb au sud de la ville le long du boulevard Tôn Đức Thắng. En fin de compte, et si c’était à refaire, les quartiers situés entre Ba Đình (à l’est du mausolée de Hô-Chi-Minh) et Long Biên auraient notre préférence (quartiers de Ngoc Ha, Truch Bach etc.).
- Où se restaurer : Hanoï, tout comme Hué et Hoi An, est réputée pour sa cuisine. Se lancer dans un food tour aurait peut-être aidé à appréhender plus facilement la ville… Les 10 jours passés sur place ont néanmoins permis de goûter bon nombre de spécialités locales : phở, bún chả, bánh mì, bún bò nam bộ etc. Mais la cuisine traditionnelle s’accommodant parfois mal des préférences végétariennes, on a souvent eu recours à l’application Happy Cow pour parvenir à un compromis. Résultat, à défaut de tomber totalement sous le charme de la ville, on aura largement profité de sa cuisine. Parmi nos coups de cœur : Tam An Lac, Minh Chay, Tinh Tam Tra, Veggie Castle et Uu Dam Chay côté végétarien, Bun Cha Ta et Bun Bo Nam Bo pour du classique 100 % Hanoï (même s’il paraît que le restaurant « Bun Cha Obama » serait meilleur encore que le Bun Cha Ta). Et puis ne passez pas à côté du café à l’œuf (Cà phê trứng) du Café Giang, des kem karamen de Minci Pudding (ou Che Xoai) et des desserts du Little Bowl.
- Où sortir : la vie nocturne se concentre le long des axes principaux de la vieille ville et sur les berges du lac de l’Ouest (Tây Hồ). C’est d’ailleurs à Tây Hồ que se trouvent certaines des meilleures salles de concert de la capitale, dont le Hanoï Rock City et le Urban Gentry Jazz Bar (et jusqu’en mars 2019, le DeN Bar and Cafe…). Ambiance alternative, bon son et programmation pointue.
- Où faire des achats : on vous recommande particulièrement aN Store, à deux pas de l’Opéra, et Huu La La côté mode (sacs en cuir, chaussures, vêtements faits main) ; Emporium, Chie, Mekong+ et Craft Link pour de l’artisanat en provenance du nord-Vietnam ; TiredCity et Zo Project au rayon papèterie.
Encore une fois, la solution pour éviter les arnaques consiste à utiliser l’application Grab – testée (et approuvée) à à peu près n’importe quelle heure du jour et de la nuit.
Enfin, mis à part le Musée d’ethnographie, le quartier de Tây Hồ et les gares routières/ferroviaires, excentrés, tout est facilement accessible à pied (surtout si vous logez dans le vieux quartier).
Hanoï – mars 2019
4 Comments
DARDE MICHELE ET SERGE
Merci de nous faire rêver, les commentaires toujours très intéressants : nous nous régalons avec l’écriture et les photos toutes plus belles.
C’est un moyen génial pour avoir de vos nouvelles.
BRAVO
Pensons bien à vous
Michèle et Serge
Badette
Vous faîtes vraiment bien participer à votre voyage et vos émotions; C’est passionnant de regarder les photos superbes et de vous lire;
Ici, particulièrement, on ressent bien le contraste entre Hanoï subissant la morosité du temps et la ville renaissant le soleil revenu…
Chez nous aussi le temps est particulièrement bizarre cette année: il neigeait encore il y a trois semaines à Coumély et nous voici sous une canicule
très éprouvante…
A bientôt la suite de vos découvertes?
Bises de Badette
Jacinte Rdg
Je rentre il y a peu du vietnam et je n’ai malheureusement pas eu beaucoup de temps pour visiter Hanoï (1,5 jours haha).
Malgré ta déception, tes photos sont si belles que cela ne me donne qu’une envie : y retourner !
Fanny
Merci beaucoup ! Le contexte n’a pas franchement aidé (le temps, la fatigue…). Mais finalement, un an après, je retournerais bien à Hanoï – en échappant à la vieille ville… !