Hué en vol plané

Il y a deux manières de « faire le Vietnam » : cocher le tiercé gagnant Hoi An, Sapa et Baie d’Hạ Long, ou bien se graver le Vietnam dans la peau – « Asian Tattoo » sans encre et sans aiguille. On n’avait pas prévu de mettre les pieds à Hạ Long, et encore moins à Sapa. Restait donc à imaginer un croisement entre Rambo et Easy Rider : de la vitesse, du sang, des larmes et des cicatrices façon héros sur le retour.

On a débarqué un après-midi à Hué dans une ville en pleine ébullition, rues transformées en une succession d’autels, de banquets colorés et de bâtonnets d’encens pour marquer le passage au 2e mois lunaire. Notre hôte d’Hoi An était affirmatif : « Hué, un jour pas plus ». Avec une page entière d’idées de visite amassées en cours de route, noms d’empereurs et vieux villages notés indifféremment (Tự Đức, Thiệu Trị, Minh Mạng, Thủy Biều, Phước Tích…) on était tout aussi affirmatifs : « Hué, quatre nuits, minimum ».

Hué, ça a d’abord été une suite de grandes artères, constructions modernes et vieilles maisons de guingois, quartiers à l’architecture anarchique et large pont Eiffel enjambant la rivière des Parfums.

Une grande ville vietnamienne sans charme apparent mais d’avis général particulièrement agréable à vivre : pour le climat, la cuisine (l’une des plus élaborées du Vietnam), le Golf du Tonkin et la campagne à deux pas. Loin de l’agitation d’Hanoï et d’Hô-Chi-Minh Ville/Saigon.

Au nord de la ville, l’immense enclave constituée par la citadelle rappelle qu’au XIXe siècle déjà, on s’expatriait dans la région de Thừa Thiên-Huế. Gia Long, premier empereur de la dynastie Nguyễn, exhortait ainsi sa cour à venir s’installer à Hué dès 1802, construisant palais, temples, établissements militaires et gouvernementaux au sein d’un nouveau quartier fortifié aux murs longs de 10 km. Une déclinaison vietnamienne de la Cité interdite.

Depuis le temps a fait son œuvre (incendies et pillages français, bombes américaines, massacres nord-vietnamiens…) mais la cité est toujours là, résistant au napalm comme aux milliers de visiteurs qui continuent d’en parcourir les allées au quotidien, audioguide vissé à l’oreille.

Hué était, et reste encore, un excellent point de chute. Seulement, rien n’obligeait à prendre l’énoncé au pied de la lettre… Coup de frein dans les graviers à deux pas du tombeau de Khải Định. Scooter qui bascule, sans trafic, sans piste de terre, sans pluie – pratiquement sans heurts. De Hué ne restent plus alors que la pharmacie, l’hôpital et une nouvelle enclave réduite aux proportions d’une chambre d’hôtel. Sans foule et sans empereurs. Un sauvetage digne des meilleurs films d’action : dents serrées et alcool à 90° versé à même la plaie. Tout ça pour une cicatrice à la Stallone qui pourra faire dire que (hué) le Vietnam, on l’a carrément dans la peau !

Hué – mars 2019