Dans la famille des pics karstiques je voudrais…
Quand Hung nous dit qu’il nous attend devant la gare de bus, on commence par scruter les voitures par réflexe. Et puis non, l’homme qui nous fait un grand signe de main est juché sur une moto. Une autre est à l’arrêt à côté. « Vous savez conduire ? Vous montez tous les deux avec un sac et j’emporte le deuxième. » Une semaine plus tôt, on aurait sûrement démarré sans autre hésitation que le maintien d’un sac de 15 kg à peu près en équilibre sur l’engin mais cette fois, impossible. Depuis que l’on s’est ramassé à scooter à Hué, on a des éraflures partout et surtout une trouille monstre à l’idée de remonter tous les deux. Sans comprendre ce qui nous fait à ce point paniquer, Hung nous regarde interloqué.
Alors tant pis on fera deux voyages, les yeux fermés, le souffle court, agrippés à ce type qui ne demandait pas tant d’étreintes…
Passer quatre jours dans un bungalow posé à quelques mètres du sol quand on ne peut pas poser le pied par terre, c’est déjà une idée étrange. Dans un bungalow planté en beau milieu d’un parc national dont le principal intérêt consiste à explorer des grottes et parcourir la jungle à moto, c’est encore plus absurde.
Trois jours en compagnie d’une unique vue. Une maison, des rizières, quelques pics barrés d’un immense panneau PHONG NHA KE BANG, histoire de ne pas perdre le fil. Jeff, lui, tient encore sur ses deux jambes à défaut de pouvoir se servir de ses deux bras – ce qui suffira pour partir à l’assaut de la Hang Tien Cave. Alors pour cette fois, on fait bande à part.
Hung regarde mon genou d’un air entendu, la grand-mère qui habite la maison voisine également ; pas émus par ce côté suintant qui témoigne pourtant de la gravité de la chose… Le verdict est sans appel : de blessure de guerre, la plaie est rétrogradée au rang de vulgaire égratignure de genou – à peu près aussi inoffensive que celle causée par le bitume lors de la première aventure sans roulettes d’un gamin de maternelle. « C’est en se cassant la gueule que l’on apprend », professe le docteur ès deux-roues.
Dans les rues du centre-ville de Phong Nha, il y a d’ailleurs des tas d’estropiés. Des voyageurs boiteux, des types à béquilles, des nénettes en mini-short arborant de larges bandages. Dans le jargon sud-asiatique, on appelle ça « Asian tattoos ». On se salue gravement, hochements de tête compréhensifs, accolades silencieuses liées à cette appartenance commune au club des loosers de la route. Parfois la solidarité s’étend aussi aux personnes âgées, dont le claudiquement est probablement plus imputable aux rhumatismes qu’à la chute en moto mais peu importe. Dans ce sens là, la rencontre fait surtout naître de grands éclats de rire et un langage corporel commun, déglingué et sans paroles.
Pour éviter que la contagion ne s’étende, certains hôtels ont opté pour la manière forte et cessé de louer des motos aux voyageurs de passage. Trop d’accidents sur les routes de Phong Nha. Trop de backpackers amochés. Alors à la place a émergé une formule alternative qui, en plus d’être sécurisante, contribue au développement éco-responsable du parc. L’idée : confier le pilotage à des motards du coin et faire vivre la région autrement que par les trafics de bois ou d’animaux.
Situé au centre du Vietnam, à 200 km au nord de Huế, Phong Nha compte parmi les plus belles et les plus anciennes zones karstiques d’Asie du Sud-Est. Les premières expéditions de spéléo, menées dans les années 1990 et 2000, ont permis de mettre au jour plusieurs grottes gigantesques noyées dans la forêt vierge, parmi lesquelles Son Doong, présentée comme la plus grande du monde.
L’Unesco dégaine dès 2003 et inscrit la région sur la liste du patrimoine mondial, avec deux conséquences : les populations locales qui se servaient jusque là de la jungle comme d’un « supermarché à ciel ouvert » (pour reprendre les mots de An à Kon Tum) se retrouvent du jour au lendemain coupées de leur principale source d’approvisionnement et de revenus ; quant aux touristes, qui ne tardent pas à débarquer en nombre (en majorité des Vietnamiens au début des années 2000), ils sont pour beaucoup en demande « d’expériences exotiques », dont la dégustation de viande de jungle fait partie intégrante. Résultat : le braconnage s’emballe et la faune ne tarde pas à être décimée à l’intérieur du parc.
Les choses ont depuis évolué. La consommation de « jungle meat » est passée de mode, les tours organisés vietnamiens ont peu à peu laissé place à une nouvelle génération de vingtenaires/trentenaires en marcels, mini-shorts et genoux écorchés, et surtout l’équipe des Thang’s Phong Nha Riders a pris possession des pistes poussiéreuses du parc – anciens bûcherons-braconniers reconvertis en guides-bikers. Plus question cette fois d’épuiser les ressources, l’équilibre financier s’est inversé, du vide vers le plein.
Deux semaines plus tard, on quitte Hanoï pour les roches noires et les rizières fluorescentes de Tam Cốc. Si on a récupéré coudes et genoux, on manque toujours de motivation pour repartir sillonner la campagne à scooter… Malheureusement à Tam Cốc pas de copain biker à qui s’agripper, pas d’écotourisme, de parc national ou d’Unesco. Tam Cốc est une ville, tout comme Ninh Bình, les deux servant par extension à désigner la zone karstique avoisinante, que chacun englobe sous le nom accrocheur de « Baie d’Hạ Long terrestre ».
A la différence de Phong Nha, ce n’est donc pas tant le braconnage qui est redouté que le développement anarchique des environs. À la verticalité des pics dentelés répond celle des hautes colonnes des cimenteries enveloppées d’un brouillard grisâtre. Plus loin, une ribambelle de constructions en béton surgit entre les affleurements karstiques.
Rien de tout cela n’est cependant visible au ras de l’eau quand, en quelques coups de rames, la barque s’enfonce au milieu d’un dédale de pics à la végétation luxuriante. Car à Tam Cốc plus que le scooter, c’est essentiellement le bateau qui a la côte – dans le calme absolu et la lumière diffuse de fin d’après-midi, ou à la queue leu leu dans un flot ininterrompu de gilets orange, selon que l’on tombe ou non sur une portion de rivière oubliée des foules.
Tours en bateau et puis aussi tours en vélo. Entre les embarcadères, entre les temples, entre les pics, entre Bích Động et Hoa Lu, entre Tam Cốc et Ninh Bình, entre les bus d’Hanoï et d’Hạ Long.
Entre ces chemins touristiques qui se croisent et se réinventent en permanence.
Visiter Phong Nha et Tam Cốc : conseils pratiques
1 | Découvrir les grottes de Phong Nha
La grotte du Paradis, la grotte de Phong Nha et la Dark Cave se visitent sans guide. Les autres (Hang En, Tu Lan, Hang Tien etc.) nécessitent de faire appel à une agence. Oxalis et Jungle Boss, les deux agences les plus réputées, se partagent les plus gros morceaux – chaque grotte ne pouvant être « exploitée » que par une seule agence. L’accès à Son Doong est strictement réglementé : comptez 3 000 dollars par personne pour accéder au site (expédition de 4 jours), en réservant plusieurs mois en avance.
Le plan, en débarquant à Phong Nha, était de visiter Hang Tien – ce que Jeff a finalement fait tout seul. A défaut de pouvoir marcher une journée entière dans la jungle, je me suis contentée des grottes touristiques de Phong Nha et du Paradis, « aménagées » et donc plus facilement accessibles – pas inintéressantes pour autant !
- La grotte de Phong Nha est accessible uniquement par bateau. L’embarcadère se situe tout au bout du village de Phong Nha (aussi appelé Son Trach Village). Au ticket d’entrée (150 000 VND) s’ajoutent les frais de « location » du bateau, le prix de l’embarcation étant divisé par le nombre de personnes à bord (environ 60 000 VND par personne pour un groupe de quatre).
- La grotte du Paradis est elle accessible à pied uniquement – une navette permettant néanmoins de raccourcir le trajet d’un kilomètre depuis le parking. Une volée de marches conduit à l’intérieur de la grotte. Coût : 250 000 VND/personne.
La grotte du Paradis est probablement la plus belle des deux grottes visitées. Pour autant, le chemin permettant de s’y rendre est aussi tout envoûtant que la visite en elle-même. Et c’est là que les Thang’s Phong Nha Riders entrent en scène. La boucle qui conduit du village de Phong Nha à la Paradise Cave est splendide mais pas forcément évidente pour qui débute à moto. Pour tout un tas de raisons abordées un peu plus haut, faire appel à un chauffeur est donc une option intéressante. Les chauffeurs connaissent parfaitement la route et s’arrêtent fréquemment pour laisser la possibilité aux passagers de mitrailler les paysages alentour. Pour réserver, passez par leur site ou allez les voir directement. Le garage se trouve pratiquement en face du Easy Tiger (prix : 350 000 VND/personne).
2 | Accès et logement
- Rejoindre/quitter Phong Nha Ke Bang : depuis Huế, comptez environ 4 heures 30 de trajet en bus, en incluant arrêts et tour des hôtels (180 000 VND par personne environ). Des bus couchettes circulent également chaque soir entre Phong Nha, Ninh Bình et Hà Nội. Les départs se font devant le Easy Tiger Hostel – où s’achètent les billets. De manière générale, voyager par bus s’avère beaucoup plus simple que de se déplacer en train, la gare ferroviaire la plus « proche » se trouvant à Đồng Hới, soit à une quarantaine de kilomètres à l’est de Phong Nha.
- Une chambre : Hung Phat Bungalow – calme et vue splendide, à l’extérieur de la ville.
- Une cantine : le village de Phong Nha se limite à rue bordée de guesthouses et de restaurants. Le Easy Tiger Hostel constitue LE repère des backpackers en mal de bières, de burgers et de pizzas. De notre côté, on a surtout apprécié le Veggie Box.
1 | Explorer la région de Tam Cốc : tours en bateau
La région compte un nombre important d’embarcadères. Notre préférence va à celui de Bích Động (aussi appelé Sun Valley ou Thung Nang), situé à 2,5 km de vélo à l’ouest de Tam Cốc, de loin le plus tranquille. Le prix est à négocier mais comptez plus ou moins 200 000 VND/bateau pour un tour de 1 heure 15.
On a également testé l’embarcadère de Tam Cốc, l’un des plus connus de la région, sans que la magie opère tout à fait en raison de l’affluence. L’itinéraire comprend en cours de route une vue magnifique (tenue plus ou moins secrète), accessible uniquement depuis un petit promontoire situé sur la gauche à la sortie de la première grotte. Sachez toutefois que pour y accéder, il vous faudra négocier ferme avec votre rameuse et promettre un pourboire en conséquence en bout de course. Contrairement à Bích Động, le prix du tour en bateau est fixe au niveau de l’embarcadère de Tam Cốc, seul le pourboire constitue la part variable. A titre indicatif, on s’en est tiré pour 390 000 VND au total (grosso modo 15 euros), pour 2 heures de navigation.
Le dernier embarcadère le plus cité, Trang An, semble aussi le plus fréquenté ; il nous a pour cette même raison été clairement déconseillé.
Un mot sur les pourboires. Vous l’aurez compris : le véritable business du coin, c’est les tours en bateau. En fonction des embarcadères, le prix peut être fixe ou laissé à l’appréciation des « compagnies » batelières. Dans les deux cas, il est admis qu’un pourboire est laissé aux rameuses d’une manière ou d’une autre. Ces dernières ne touchant qu’un pourcentage infime du prix payé pour la « course », toutes espèrent une contribution supplémentaire afin d’arrondir un peu les fins de mois. Certaines proposeront de vous vendre quelques objets en chemin, d’autres de quoi grignoter et parfois, c’est carrément une copine qui s’interpose. Pour couper court à toute tractation, annoncez clairement la couleur et indiquez qu’un pourboire sera laissé en fin de parcours – généralement de l’ordre de 50 000 VND (à moduler selon que le courant sera plus ou moins bien passé avec votre rameuse…).
2 | Panoramas et autres visites
Deux sites méritent d’être visités dans les environs de Tam Cốc : les jolis temples troglodytes de Bích Động, facilement accessibles à vélo à l’ouest de la ville, et l’ancienne capitale de Hoa Lu (XIe siècle) située à une grosse douzaine de bornes au nord de Tam Cốc. La route vers Hoa Lua peut également être faite à vélo, à condition d’éviter les voies rapides…
La région offre d’autres possibilités de balade à ceux qui auraient plus de deux ou trois jours à lui consacrer : cathédrale de Phát Diệm, réserve de Van Long, parc national de Cuc Phuong etc.
Pour les amateurs de panoramas, trois spots permettent de prendre de la hauteur. Huang Ma, le plus connu, offre une vue extraordinaire sur le circuit en bateau de Tam Cốc (100 000 VND l’entrée ; vous le trouverez sans problème sur maps.me). Le deuxième point de vue, mentionné plus haut, est placé à mi-chemin du parcours en bateau organisé depuis le centre-ville de Tam Cốc (précisez bien les choses à votre rameuse si vous souhaitez vous y arrêter). Enfin, si vous passez par les temples de Bích Động, grimpez donc admirer la vue depuis le sommet du pic (prudence malgré tout : il s’agit plus de grimpette bancale que d’itinéraire balisé, ne vous y aventurez pas s’il a plu ou si nous n’avez pas le pied sûr).
3 | Accès et logement
- Aller/quitter Tam Cốc : la région de Tam Cốc/Ninh Bình est facilement desservie depuis Hà Nội (environ 2 heures 30 de trajet), Hạ Long, Phong Nha et Huế. A Hà Nội, la plupart des hôtels du vieux quartier vous proposeront leurs services pour organiser pick-up à l’hôtel et bus directement jusqu’à Tam Cốc. Idem au retour depuis Phong Nha. Comptez 120 000 VND environ. Autre possibilité – moins coûteuse : se rendre à la gare de bus de Giap Bat, au sud d’Hà Nội, et acheter son ticket directement sur place. Dans l’autre sens, le gros hub de transport est Ninh Bình et non Tam Cốc, la ville accueillant gare routière et gare ferroviaire.
- Une chambre : mieux vaut éviter la grande ville sans charme de Ninh Bình et se baser à proximité de Tam Cốc – soit au niveau de la ville même, soit dans la campagne environnante. Le plus bel hôtel du coin est probablement le Tam Coc Garden mais n’espérez pas obtenir une chambre sans réserver plusieurs semaines à l’avance. Tam Cốc compte également de très nombreux « homestays », basiques mais sympas.
- Une cantine : malgré l’emballement touristique, les bons restaurants ne courent pas les rues. C’est finalement le Aroma Indian Restaurant qui nous a le plus emballés.
Phong Nha Ke Bang et Tam Coc – mars 2019