Chine,  Yunnan

Nord Yunnan Blues

Jusqu’en 2001, Shangri-La n’existait pas. Ou plutôt, jusqu’en 2001 il n’y avait pour tout Shangri-La qu’une ville et un comté du nord Yunnan posés sur le plateau tibétain à 3 200 mètres d’altitude, désignés sous le nom de Gyalthang en tibétain (རྒྱལ་ཐང།), Zhongdian en chinois (中甸). Et puis l’emballement touristique et la popularité grandissante de Dali et Lijiang à la fin des années 1990 suscitèrent tant l’envie des autorités locales, qu’elles se mirent en quête d’un nouveau gros coup marketing.

Le résultat prit la forme de Shangri-La, Xianggelila (香格里拉) dans sa version chinoise, du nom d’une cité imaginaire née sous la plume de James Hilton en 1933 (Les Horizons perdus) – une lamaserie utopique perdue dans une vallée merveilleuse aux confins du Tibet. La deuxième moitié du XXe siècle avait vu une foule d’explorateurs se lancer sur les traces de ce Shangri-La fictionnel et une compétition plus acharnée encore opposer les prétendants au nom. Pas à un paradoxe près, la Chine s’accapara non seulement le titre de Shangri-La, faisant de Gyalthang/Zhongdian le Shangri-La « originel », mais en ajouta un second au Sichuan, à l’entrée de la réserve de Yading (Xianggelila/Riwa).

En fait de paradis perdu, le Shangri-La version Empire du Milieu – qui se consuma en partie en 2014 – flaire bon le parc d’attraction pour touristes en mal d’exotisme, associant en un curieux mélange luxe et culture tibétaine de carte postale. Les cars se relaient sur le grand parking de la porte Est, déversant leur flot de visiteurs pressés venus chercher dans la région un avant-goût du Tibet, sans avoir à pousser l’exploration jusqu’à Lhassa. Shangri-La est double et un rien schizophrène : aux Hans les ruelles tortueuses de la « vieille ville » néo-tibétaine, alignement de restaurants, cafés et boutiques-hôtels aux élégantes devantures en bois ; aux Tibétains la ville périphérique ponctuée de barres d’immeubles d’un mauvais goût résolument « chinois ».

Dans cet entre-deux mondes cherchant sans cesse à recréer artificiellement une culture qui, par la force des choses disparaît, les monastères tibétains eux-mêmes deviennent des lieux de consommation parmi d’autres. À quelques kilomètres de la ville, le plus grand monastère bouddhiste du Yunnan, Songzanlin (Ganden Sumtseling Gompa en tibétain, དགའ་ལྡན་སུམ་རྩེན་གླིང་) impressionne par son ampleur, ses ors, ses couleurs vives et ses drapeaux de prière qui claquent au vent. Pourtant Songzanlin, comme Shangri-La, est une vitrine, un village monastique maintes fois reconstruit avec caméras de vidéo-surveillance, vendeurs en tout genre et touristes sous oxygène à la recherche d’un imaginaire himalayen fantasmé.

Aux alentours du monastère de Songzanlin à Shangri-La

On finit par passer dans ce nord-Yunnan deux semaines complètes, moitié par choix, moitié contraints. Pour se lancer à l’assaut du Sichuan il nous faut obtenir une prolongation de visa d’un mois, une procédure chronophage impliquant de naviguer plusieurs jours de suite entre les PSB (Police Security Bureau) de la ville.

Alors, tandis que les démarches administratives suivent leur cours, on parcourt la ville de bout en bout, à pied, en bus et à vélo, slalomant entre Shangri-La, Songzanlin, le lac Napa (纳帕海) et la vallée de Ringha, à la poursuite d’un autre Tibet caché dans les replis du plateau, fait de courbes boisées, de pâturages, d’épaisses maisons trapézoïdales aux murs blanchis, de séchoirs à foin et de troupeaux de yaks.

On alterne aussi écriture et lecture, jeux vidéos et ébauche d’itinéraire pour l’Ouzbékistan, des journées longues et décousues laissant peu à peu place à une routine quotidienne pas désagréable.

Au bout d’une semaine, les passeports sont récupérés in extremis, ponctués d’un « Votre barbe, Monsieur… elle fait penser à celle d’un Ouïgour ou d’un Pakistanais, vous devriez faire attention… », pour un peu tout était renvoyé à Kunming pour examen.

Visas en poche, on abandonne aussitôt Shangri-La pour les hauteurs de Benzilan (奔子栏) et un Yunnan au caractère aussi aride que celui de la logeuse woofing qui pendant cinq jours nous tient d’une main de fer. Tout juste tolérés pour le boulot rendu, sans remerciement ni autre chose qu’un « dépêchez-vous de descendre je suis pressée » en guise d’au revoir, on fout finalement le camp comme deux gamins penauds, incapables de dire merde à Estelle et à toute cette aigreur d’expatriée blasée. Mains tendues en bord de route, on saute dans le premier véhicule venu pour prendre le large, direction Feilai Si.

Au réveil, la chaîne des Meili Xueshan (梅里雪山) baigne dans une brume aussi épaisse que notre spleen des derniers jours. Cette fois on baisse les bras. Tant pis pour la vue sur les 6 740 mètres du Kawagarbo, tant pis pour le trek à Yubeng, tant pis pour le Yunnan.

Benzilan

« Première » courbe du Yangzi (Jinsha)

Monastère de Dongzhulin

La prochaine étape sera sichuanaise.


Explorer le Nord-Yunnan : conseils pratiques

– Shangri-La et environs –

  • Le tour de la vieille ville est rapidement fait, les visites se limitant grosso modo à l’énorme moulin à prières doré qui surplombe la ville et au petit temple de Bai Ji Si (百鸡寺), dit « temple des 100 poulets ». « L’incontournable » monastère de Songzanlin, situé à 5 kilomètres à l’est de Shangri-La, se rejoint sans difficultés avec le bus n°3 (1 yuan le trajet/personne). Le bus ne vous déposera toutefois pas directement au monastère mais devant l’immense bâtisse où s’achètent les billets d’entrée (55 yuans/personne). Un conseil : terminez le chemin à pied et dispensez vous des 20 yuans supplémentaires de navette. Pour retourner sur Shangri-La, grimpez dans un des bus qui stationnent cette fois sur le parking à l’entrée de Songzanlin.
  • Si Shangri-La présente un intérêt assez limité, les environs de la ville méritent en revanche un arrêt de quelques jours. Le lac Napa (纳帕海) se rejoint facilement à vélo mais l’exploration sera plus ou moins agréable selon les saisons, le lac se transformant parfois en marécage géant. Les vélos se louent dans une arrière-cour du côté de la porte Nord de Shangri-La (30 yuans la demie-journée) – l’endroit est indiqué sur Maps.me. Une autre possibilité de balade consiste à relier le monastère de Da Bao Si (大宝寺) à Shangri-La, via la vallée de Ringha. L’idéal est de se faire déposer au monastère (100 yuans/taxi ; 30 à 40 minutes de trajet) puis de revenir à pied. Comptez environ 4 heures 30 de marche. Encore une fois, Maps.me fait le job. Quant aux Shika « Snow Mountains » (石卡雪山), impossible de s’y aventurer sans guide. Comme à Dali, les différents chemins de randonnée sont désormais « verrouillés » et seul un téléphérique permet de gagner le sommet…
  • Toujours dans les environs de Shangri-La, vous pouvez passer quelques jours dans un village tibétain comme le village de Niru. Pour plus d’informations contactez Tashi, un jeune guide local, sympa et de bon conseil.
  • Enfin amis randonneurs, faites attention aux chiens tibétains : restez sur vos gardes à l’approche des maisons et des campements nomades, les bêtes étant plutôt hargneuses…
Vieille ville de Shangri-La
  • Se loger sur Shangri-La : on a beaucoup aimé le House of Waking Sunlight, même si on y était seuls la plupart du temps… Les chambres sont belles et confortables, l’accueil au top.
  • Quelques restaurants en vrac : Akhustonpa, tenu par un couple tibéto-naxi, et Xiao Cai si vous êtes à la recherche d’excellents plats locaux ; les nouilles tirées de Langzhou, au niveau de la porte Est, pour une ambiance de cantine populaire ; Flying Tigers, le repère des expats francophones de la région, si vous êtes en mal de cuisine internationale. Shangri-La possède également sa propre bière artisanale, brassée sur place (la Shangri-La Beer) et proposée dans la majorité des restos branchés du centre-ville. Pour goûter les différentes déclinaisons sans dépenser une fortune par bouteille, approvisionnez-vous directement dans les supermarchés situés au niveau de la porte Nord de la ville.
  • Achats : la boutique Norlha, proche du House of Waking Sunlight, propose des châles splendides en khullu (laine de yak), tissés main sur les hauts plateaux de l’Amdo. Les prix sont élevés mais la démarche socio-environnementale engagée par l’entreprise est pour une fois réellement intéressante.
Photo d'Anahi Clemens pour Norlha
© Anahi Clemens / Norlha

– De Benzilan à Feilai Si –

  • Vous n’aurez pas de mal à trouver des baoche (taxis partagés) en direction de Benzilan (奔子栏) ou Deqin (德钦) depuis Shangri-La. Le stop est ensuite la manière la plus simple d’explorer la région, qui s’articule autour d’un axe principal : la route G214. Le trajet entre Benzilan et Feilai Si (飞来寺) coûte 50 yuans par personne ; le trajet Deqin/Shangri-La, 65 yuans. Pas de vraie logique là-dedans : tout dépendra de vos talents de négociateur (sachant que le stop est bien souvent payant…).
  • A mi-chemin entre Benzilan et Feilai Si se trouve la « première boucle » du Yangzi (金沙第一湾). Une plateforme a bien entendu était construite en surplomb, accessible moyennant 20 yuans/personne.
  • Le monastère de Dongzhulin (东竹林寺), à proximité, est également payant (30 yuans) mais l’ambiance y est beaucoup plus détendue qu’à Songzanlin. L’étage abrite de beaux mandalas en « 3D ».
  • À moins d’entreprendre le « trek » de Yubeng ou de vouloir contempler le lever du soleil sur le Kawagarbo, pousser jusqu’à Deqin ne présente aucun intérêt. La ville, située à 3 heures de route au nord de Shangri-La, a mauvaise presse et rien n’incite à s’y attarder. Si votre itinéraire vous conduit jusque-là, dépassez Deqin et installez-vous du côté de Feilai Si, par exemple, au Ping Song Chu Hotel. Les randonnées autour de Yubeng, beaucoup moins courues que celles des Gorges du Saut du tigre, étaient souvent présentées comme parmi les plus belles du Nord-Yunnan. Depuis la fin 2018, une route rejoint le petit village tibétain d’Yubeng, qui devrait donc connaître une nouvelle phase de développement…

Nord-Yunnan – avril 2019

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