Vallée de Shaxi – on thé road
Arriver à Shaxi (沙溪) c’est d’abord arriver à Sideng (寺登). Mais de Sideng, à Shaxi, il n’est plus question : depuis que le principal village de la vallée (Sideng) a récupéré par extension le nom de la vallée même (Shaxi), Sideng ne désigne plus qu’une rue… de Shaxi. À force de voyager en Chine on finit par ne plus s’étonner de rien, ni des Shaxi/Sideng, ni des Dali/Xiaguan, ni des Shangri-La/Xianggelila/Zhongdian. Rien de nouveau sous le ciel de l’Empire du Milieu : les légistes chinois d’autrefois n’avaient-ils pas déjà fait de la rectification des noms et de la maîtrise des désignations le socle du maintien de l’ordre social ?
Shaxi : une étape phare sur la route du Thé et des Chevaux
Au sud du comté de Jianchuan, à mi-chemin sur l’axe Dali/Lijiang, la vallée de Shaxi fut durant des siècles un point de passage sur la route du Thé et des Chevaux. La petite ville de Sideng profita largement de la manne financière offerte par le passage des caravanes et prospéra tant et si bien qu’elle devint l’une des étapes les plus en vues du Sud Yunnan – ce qu’évoquent encore les splendides demeures disséminées le long des ruelles étroites de la vieille ville.
La fin des grandes caravanes marque la fin de l’âge d’or de Shaxi, qui peu à peu s’assoupit. Les choses en seraient peut-être restées là si une équipe suisse n’avait pas décidé de rénover la vieille place du marché de Sideng au début des années 2000. laissée à l’abandon. Ancien cœur commerçant de la vallée, les abords du temple Xingjiao (兴教寺) voyaient autrefois converger vendeurs et acheteurs de tous horizons, venus échanger produits locaux contre marchandises en provenance du Tibet et des quatre coins du Yunnan. La restauration de l’ancienne place, menée avec un souci de cohérence historique et architecturale peu courant en Chine, est largement saluée et entraîne finalement un regain d’intérêt pour le petit village de Sideng/Shaxi.
Déambulation dans les ruelles de la vieille ville
En apparence, peu de choses ont changé autour des pavés ombragés de la vieille place. Comme ailleurs dans la vallée, le temple bouddhiste bai fait toujours face au théâtre, offrant à Bouddha et aux deux divinités gardiennes bleu et rouge qui flanquent l’entrée du temple une vue imprenable sur la scène et les représentations données.
Le temps, pour autant, ne s’est pas arrêté et derrière les anciennes façades de bois, guesthouses, cafés et boutiques de souvenirs ont essaimé depuis une dizaine d’années. Et comme à Lijiang ou à Dali, les locaux n’ont pas tardé à déserter les lieux au profit des nouveaux-venus.
| La Maison Ouyang
Cela dit, tous ne sont pas partis et il suffit de passer les portes de la maison Ouyang pour plonger tête la première en pleine époque Qing.
Au début des années 1900 la famille Ouyang, une famille de muletiers, décide d’ouvrir ses portes aux caravanes de passage et d’offrir aux voyageurs gîte et couvert pour la nuit. Les affaires connaissent un succès exceptionnel, au point que la famille est rapidement en mesure de rénover et d’agrandir les lieux : une aile et une entrée séparées sont alors ajoutées au corps principal de la bâtisse, réservées aux marchands et à leurs bêtes.
Les chambres, qui s’articulaient de part et d’autre de la petite cour, ne sont plus utilisées aujourd’hui et les herbes folles ont repris leurs droits entre les pavés. Mais si on ouvre l’œil et si on prend le temps de bien observer, on distingue encore ici ou là les traces du passage des anciens voyageurs le long des panneaux de bois patinés et des pierres arrondies de la cour…
Dans un coin de la maison, une porte ouvre sur une cuisine aux murs noircis. Au fond de la pièce, au-dessus du puits, apparaît la devise de la famille inscrite en caractères traditionnels : « Les rites et la musique sont l’héritage de la famille ». Littéralement : « lǐyuè chuánjiā » (禮樂傳家), « lǐ » faisant référence dans la pensée confucianiste aux convenances, aux protocoles et au maintien des règles de politesse, « yuè » à la musique en tant que support des rituels – le tout devant permettre le développement d’une culture harmonieuse et équilibrée.
Quant au vieux temple des ancêtres de la famille, à moitié dissimulé dans l’ombre, il était autrefois considéré comme un des plus beaux de Shaxi.
| Échanges numériques autour d’une tasse de thé
En retraversant Sideng en direction de la porte Est, on tombe par hasard sur une minuscule boutique de thé – un escalier sur les marches duquel s’amoncellent des piles de livres, des étagères croulant sous des galettes de Pu-erh, une table en bois et trois tabourets. Le type assis là a une dégaine sympathique. Trentaine ébouriffée et chevelure grise dépassant d’une large casquette, il est plongé dans un pavé de Jung à l’épaisse couverture rouge.
Comme il parle anglais aussi bien que l’on parle chinois, la conversation a d’emblée une espérance de vie limitée. Heureusement, les applis de traduction étant parvenues à suppléer peu à peu aux carences de communication, notre dialogue verbal prend rapidement un tour numérique. Parfois, l’app déraille et l’échange dérape de façon surréaliste. Et puis au milieu de deux infusions d’un thé noir sauvage du sud Yunnan, les doigts se mettent d’un coup à pianoter à toute vitesse. « Je suis végétarien, tout comme vous. Pensez-vous vraiment que l’on puisse changer le monde en arrêtant de manger de la viande ? ». La conversation alors s’emballe et on aurait envie de se prendre dans les bras tant les différences culturelles semblent à ce moment précis une vaste connerie.
Finalement, après avoir disserté sur la marche du monde pendant deux heures et avoir englouti l’équivalent d’une théière chacun, l’estomac se met à gronder et on se quitte à deux pas des toilettes publiques. « Merci les chiots, vous êtes des mecs géniaux, repassez me voir pendant votre séjour à Sand Creek ». Parfois ça ne fonctionne qu’à moitié…
Sur les chemins à bicyclette : Shaxi loin des foules
Depuis notre arrivée en Chine, on a renoué avec le modjo et on se rend compte à nouveau que l’étape en elle-même importe peu (l’objet de l’étape – le tiret à cocher). Sideng est un prétexte, comme l’était Dali quelques jours plus tôt, et le côté branché du vieux village n’est au fond qu’une exception au milieu d’une vallée noyée sous les fleurs de colza et les cultures en terrasses, suspendue au milieu des grands axes.
Si on tombe sous le charme de Shaxi, c’est finalement pour tout le reste.
Pour notre copain Fa Qing, les galettes de Pu-erh qu’il découpe avec soin, les théiers de Baoshan et la psychologie allemande. Pour la campagne parcourue à vélo, au chant du coucou et sous le soleil printanier. Pour le retour des champs avec les agriculteurs bai en habits bleu roi, grosses casquettes vissées sur la tête et hottes tressées dans le dos. Pour les places de village tenues par les anciens du coin, du petit matin au couchant rose-orangé. Pour Orion qui se découvre dans une nuit d’encre au-dessus des montagnes. Pour les sentiers forestiers des monts Shibao et les heures passées à tracer un chemin à travers la pinède, à la recherche d’un lac inexistant.
Pour le marché du vendredi matin, aussi, qui se tiendrait inchangé depuis le XVe siècle. Pour la vue sur la vallée et les toits du village de Dengta. Et surtout pour nos hôtes hippies-jazzys qui s’apprêtent à décoller pour la Turquie et qui ont bâti leur itinéraire sur un critère unique : ne visiter que les endroits où leurs compatriotes chinois ne mettront pas les pieds.
Sans ce foutu visa, on serait resté à Shaxi des semaines entières.
Visiter Shaxi : conseils pratiques
- Rejoindre Shaxi depuis Dali : un minivan assure chaque jour la liaison entre les hôtels Landscape de Dali et de Shaxi (départ 9 h, arrivée 11 h 30). Coût : 65 yuans par personne. Les billets se réservent sur place. Autre solution : passer par Jianchuan (剑川), à 45 minutes de Shaxi environ (13 yuans en minibus), ancienne ville étape sur la route du Thé et des Chevaux. Jianchuan n’offre plus aujourd’hui qu’un intérêt limité, les rénovations successives ayant eu raison du charme de la vieille ville, mais rien ne vous empêche de profiter de votre transfert vers Dali ou Lijiang pour vous y balader une petite heure.
- Loger à Shaxi : l’immense majorité des visiteurs n’accorde à Shaxi qu’une journée et une nuit. Les logements se concentrent donc au niveau du vieux village de Sideng, cœur touristique de la vallée. Néanmoins, et pour s’imprégner réellement de l’ambiance des lieux, mieux vaut prendre le large et trouver refuge dans les hameaux environnants. Bono a ouvert une sorte d’espace hybride mi-café mi-guesthouse, perché sur les hauteurs du village de Dengta. La chambre est basique, la salle de bain partagée également (mais d’une propreté irréprochable !), et pourtant l’ambiance de la Up Air Guesthouse est indescriptible, cool, décontractée et sans prise de tête. Le « centre-ville » de Sideng se rejoint facilement en une petite quinzaine de minutes de vélo – que Bono tient à disposition de ses hôtes. Faire des classements n’a souvent aucun sens, malgré tout cette étape à Dengta restera l’une des plus chouettes et atypiques de nos deux mois passés en Chine.
- Se restaurer : si on a surtout squatté chez Bono et son colocataire, on a quand même pris le temps d’expérimenter le Hungry Buddha, restaurant le plus en vue de Shaxi – italien et végétarien. Pas exactement typique, pas donné non plus, mais plutôt bon !
- Visiter les Shibaoshan (石宝山) : considérés comme un des sites archéologiques les plus importants du Yunnan, les monts Shibao abritent un ensemble impressionnant de grottes bouddhiques et de sculptures datant de l’époque Nanzhao (737-937) – parmi lesquelles une représentation de sexe féminin totalement explosive pour l’époque… Cela dit, et aussi fascinant que soit le site, il n’en reste pas moins confidentiel et difficile d’accès. Première raison à cela : sa taille. La zone archéologique de Shibaoshan est immense et impraticable à pied dans sa totalité. Deuxième problème : le coût du déplacement et des visites a tendance à dissuader. La seule manière de rejoindre les temples de Haiyun et Baoxiang (au nord des Shibaoshan) consiste à négocier un taxi depuis Shaxi. Au prix de la course s’ajoutent alors les droits d’entrée (45 yuans) et les frais de navette (40 yuans), seule façon de naviguer d’un point à l’autre du site. Ne vous laissez pas décourager pour autant. Si explorer la partie nord des monts Shibao est un véritable casse-tête logistique, l’accès au temple de Shizong, au sud, n’a rien de compliqué. Un chemin serpente dans la montagne depuis le village de Shadeng, accessible en quelques coups de pédale depuis Shaxi. La montée est ardue mais le cadre splendide. Tous les sentiers sont tracés sur Maps.me, mais tous ne se valent pas. Un conseil : ne tentez pas de rejoindre le lac en coupant à travers la pinède depuis le temple, au risque de vous retrouver coincés au pied d’un barrage. La seule voie d’accès vers le lac semble être la route.
Shaxi – avril 2019
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