Sur la route : de Bosogo à Tash Rabat
La voie rapide qui court depuis Naryn vers la frontière sud est impeccable. Les voitures filent sans avoir à se soucier du bitume explosé, des nids de poule, des nuages de poussière et des traverses caillouteuses qui donnent aux trajets kirghiz des airs de manège ambulant. Comme à son habitude, l’immense voisin chinois n’a pas lésiné sur les moyens, investissant massivement pour retaper le tronçon de route reliant les deux pays.
On délaisse pourtant vite l’asphalte de l’A365 pour mettre cap plein Est en direction d’Ak-Muz et des vallées alpines de Bosogo. Objectif : rejoindre Kel Suu d’ici la fin de la journée.
Le soleil tape et le temps invite à la marche. Fabien stoppe la voiture et nous entraîne au milieu des sapins. L’expédition improvisée intrigue un jeune garçon d’un camp voisin qui se glisse derrière nous. Il chemine un moment à distance, silencieux et craintif, jusqu’à ce que le pied dérape et que sa main d’un coup agrippe la mienne – la relâchant presque aussi brusquement. L’enfant surpris par son propre geste s’affole, tourne le dos à toute vitesse et s’enfuit le long du sentier.
Sur le plateau, des milliers de fleurs jaunes et violettes, edelweiss et herbes folles, forment un tapis moelleux, pratiquement aussi épais et coloré que les shyrdaks qui garnissent l’intérieur des yourtes. Les insectes crépitent et le regard dérive, absorbé par le moiré des étoffes alpines et les grains de beauté vert tendre qui un peu partout émaillent les collines kirghizes.
En contrebas, un groupe installé sous le couvert des arbres profite du week-end pour pique-niquer dans les alpages. Il ne faut pas longtemps pour que les invitations fusent et que fruits d’été, sucreries et shots de vodka se retrouvent partagés entre tous, l’hospitalité centre-asiatique se jouant des formes aussi bien que des cadres établis. On descend quelques verres, on remercie pour l’accueil et on s’éclipse avant de tituber totalement – Sabira nous attend pour le repas.
Il se dégage de la vaste yourte quelque chose d’étrangement magnétique, une alchimie indéfinissable due aussi bien à l’odeur entêtante du bois et de la peau de mouton qu’aux couleurs chatoyantes des shyrdaks, des tissus et des passementeries, baignant dans la lumière diffuse filtrée par le tunduk (la partie sommitale de la yourte)…
Sur la toile cirée, Sabira dépose une demie-pastèque gorgée de sucre, des galettes de pain chaud et une grande jarre de kumys tout juste baratté. Descendre un verre de lait de jument fermenté fait partie des obligations auxquelles le voyageur débarqué en Kirghizie doit à un moment ou à un autre se soumettre, l’expérience se concluant le plus souvent par un grimaçant « c’est dégueulasse ». Nous, on accroche curieusement et quand on décolle une grosse heure plus tard, Sabira nous tend une pleine bouteille pour la route.
Quelques jours plus tard, le campement est pris d’assaut par des familles de vacanciers kirghizes et à défaut de pouvoir se réapprovisionner en kumys, on se rabat sur la recherche de « camions-ruches » et d’une nouvelle bouteille à remplir – le miel kirghize se négociant à coups de litre.
Les apiculteurs garent leur véhicule pour quelques semaines au milieu des champs, laissant les abeilles butiner jusqu’à n’en plus pouvoir. La récole « épuisée », ne reste qu’à plier bagage et s’établir un peu plus loin.
Tash Rabat
En repartant vers l’ouest, du côté d’At-Bachi et de ses montagnes pelées, on retrouve l’asphalte chinois et les camions naviguant de part et d’autre de la frontière. Un embranchement sur la route qui mène au col de Torougart permet de rejoindre Tash Rabat. Encastré dans la montagne à 3 200 m d’altitude, le vieux caravansérail du XVe siècle servait autrefois de halte aux caravanes, soldats et commerçants fourbus, engagés sur les routes de la Soie.
Le positionnement particulier de l’édifice, loin des grands axes de passage et à la lisière des hauts cols, continue d’intriguer les archéologues. Si la majorité s’accorde pour dire que la forteresse était à l’origine un monastère chrétien nestorien utilisé tardivement comme caravansérail, d’autres – plus nationalistes – y voient l’ancien palais d’un khan local.
A défaut de pouvoir faire parler les pierres, ne reste pour les voyageurs des temps modernes qu’à profiter des larges yourtes et du banya salvateur établi à deux pas – une version revisitée et bien plus confortable des anciens caravansérails.
Quelques conseils pratiques
Transports
On a profité de notre semaine avec Nomad’s Land pour faire un crochet par Tash Rabat. Vous n’aurez aucune difficulté à trouver un chauffeur à Naryn, en faisant appel à Kubat ou au CBT. Vous pouvez également rejoindre At-Bashi en marshrutka et négocier un taxi directement sur place.
Passer la nuit à Tash Rabat
Plusieurs camps de yourtes sont installés à l’arrière du caravansérail. Le plus éloigné de l’édifice est aussi le plus agréable : le repas est bon, les couchages confortables et la possibilité d’utiliser le banya constitue un vrai luxe après une semaine sans douche.
Randonner jusqu’à Chatyr Kul
On ne s’est pas aventuré jusqu’à Chatyr Kul par manque de temps. Le lac étant situé en zone frontalière, un visa est normalement nécessaire pour explorer les environs. Si vous demeurez en amont (= au niveau du col de Tash Rabat ou sur la rive nord), les chances sont toutefois faibles pour que vous vous fassiez contrôler.
Campement de Sabira
Le campement de Sabira se trouve du côté du jailoo (pâturage d’été) de Bosogo. Vous pouvez bien sûr vous y arrêter si vous passez dans le coin, mais si vous randonnez dans les montagnes kirghizes durant l’été, vous ne manquerez pas d’être invités à boire du thé ou un bol de kumys dans la chaleur feutrée d’une yourte.
Kirghzistan – août 2017
One Comment
Manu
Hello les globes trotters… Vous me faites rêver par procuration.
Votre blog est superbe, le texte fait rêver, les photos sont dignes d’un reporter…
Je vous suivrai au fil de votre voyage, m’imaginant assis autour d’un verre dans un endroit reculé, au bout du monde, à la rencontre de ces civilisations encore inconnues pour moi.
Je vous embrasse fort, profitez de ce beau périple. On vous envi.
Manu
Ps : nous nous rapprocherons de vous d’ici 15 jours… On part au Sri-Lanka en famille.