Agra et Fatehpur Sikri
A première vue, rien de très attirant dans cette grosse ville polluée d’1,7 millions d’habitants qui, avec ses artères congestionnées, aurait plutôt tendance à rebuter. Malgré tout, Agra draine chaque année des millions de visiteurs (jusqu’à 7 millions par an avant la pandémie), une côte de popularité exceptionnelle que l’ancienne capitale impériale doit à ses splendeurs architecturales, à commencer par l’incontournable Taj Mahal.
Derrière l’ombre omniprésente du mausolée se cachent néanmoins d’autres trésors, moins courus mais pas moins grandioses et qui méritent tout autant le détour : le Fort Rouge, le « Baby Taj », le tombeau d’Akbar à Sikandra ou encore l’ancienne capitale de Fatehpur Sikri, à 30 kilomètres d’Agra… On vous montre tout cela ?
Le Taj Mahal : amour toujours
Pas facile d’écrire sur un lieu aussi vu et revu que le Taj Mahal, tellement connu qu’on se demande presque s’il y a encore un intérêt à aller traîner ses baskets et son appareil photo au milieu de la foule à 6 h du matin – une motivation autre qu’une pulsion touristique à assouvir.
Impossible malgré tout de résister. L’envie est trop forte et l’immense silhouette du mausolée, qui flotte au-dessus de la ville comme un mirage, agit à la façon d’un aimant.
Aux premières heures du jour, dans l’encadrement du monumental portail de grès rouge qui marque l’entrée du Taj, le spectacle est plus époustouflant encore, le gigantesque palais de marbre blanc se reflètant dans l’eau de bassins translucides, une foule de saris colorés virevoltant à ses pieds.
Le mausolée est construit au 17e siècle par l’empereur moghol Shah Jahan, fou de chagrin après la disparition de son épouse préférée, Mumtaz Mahal, morte en mettant au monde leur quatorzième enfant (une preuve, paraît-il, de l’amour sans limite que lui portait le souverain…).
Si le Taj Mahal fait rêver, c’est tout autant pour sa beauté envoûtante et ses proportions parfaites que parce qu’il magnifie l’amour. Pas étonnant donc que le mausolée soit devenu l’emblème de l’Inde, un chef d’œuvre à la portée universelle s’affranchissant – en théorie – des cultures comme des religions.
Pourtant le Taj, comme tout symbole, a ses détracteurs et dans un État (l’Uttar Pradesh) marqué par une flambée du nationalisme hindou, le mausolée cristallise les tensions. Parce qu’il est l’œuvre d’un souverain moghol, donc musulman, le Taj Mahal devient une cible à abattre pour les extrémistes hindous du BJP, qui voient dans le monument un « obstacle à la gloire hindoue ». Les autorités de l’Uttar Pradesh ont ainsi pris le parti de retirer le Taj des brochures touristiques officielles, pour protester contre un héritage islamique bien trop présent à leur goût…
Sans succès… La manœuvre semble pour le moment n’avoir aucune incidence sur la fréquentation du Taj et les visiteurs, étrangers comme indiens, musulmans comme hindous, se bousculent chaque année un peu plus pour admirer le monument phare du pays, suscitant in fine d’autres formes de tensions, écologiques cette fois-ci…
| Conseils pratiques pour organiser votre visite
Le monument est ouvert tous les jours du « lever au coucher du soleil », à l’exception du vendredi. Un conseil : venez aux premières lueurs du jour (aux alentours de 6 h) pour échapper à la foule et profiter de la lumière dorée du matin. Essayez aussi si vous le pouvez d’acheter vos billets la veille (1 100 roupies par personne + 200 roupies supplémentaires pour pénétrer à l’intérieur du mausolée, soit environ 16 euros) afin de gagner du temps, sachant qu’il vous faudra de toute façon faire la queue pour accéder au site. Enfin, n’emportez pas de sac à dos et ne gardez avec vous que le strict nécessaire (papiers, téléphone/appareil photo et basta), au risque d’être refoulé à l’entrée.
| Vues sur le Taj
Les perspectives sur le mausolée ne manquent pas, que ce soit depuis le Fort rouge, les terrasses des hôtels ou les sentiers du Taj Nature Walk… Attendez le coucher du soleil pour grimper sur le toit terrasse du Saniya Palace Restaurant à deux pas du Taj, ou bien franchissez la rivière Yamuna pour gagner les jardins Mehtab Bagh et bénéficier d’une vue magistrale (mais payante : 300 roupies) sur le monument.
Les berges de la Yamuna sont d’ailleurs le seul endroit d’Agra où l’on parvient à échapper à la foule et aux tours organisés, et à capter un fragment de vie locale sans vacarme ni interférence. Les bergères viennent faire paitre leurs troupeaux, les enfants s’égosillent dans des jeux d’enfants, de petits groupes s’entraînent au cricket, et tout d’un coup tout semble suspendu.
Dans l’ombre du Taj Mahal : le Fort Rouge, Itimad-ud-Daulah et le mausolée d’Akbar
Pas sûr que les autres merveilles architecturales d’Agra (mogholes pour la plupart) aient davantage droit de cité auprès des autorités de l’État. Mais de ces trésors-là, personne ne parle ou presque…
| Le Fort Rouge
A l’ouest du Taj Mahal, en bordure de la rivière Yamuna, le Fort rouge est l’autre « incontournable » d’Agra, plus somptueux encore que le fort de Delhi. La citadelle, construite au XVIe siècle, est cernée d’imposantes murailles couleur miel enserrant une flopée de bâtiments majestueux classés à l’Unesco (jardins, salles d’audience publiques et privées, mosquées, palais, bains et harem…).
Le Fort est l’œuvre collective de quatre souverains qui, durant plus d’un siècle, s’emploient à consolider et à développer chacun leur tour la structure. Résultat, fin XVIIe, 2,5 km de murailles ceinturent l’ancienne capitale impériale moghole, qui s’étend sur près de 38 hectares.
L’empereur Shah Jahan, le bâtisseur du Taj Mahal, déchu par son fils Aurangzeb, aurait passé les dernières années de sa vie enfermé derrière les remparts de grès du Fort rouge avec pour toute consolation une vue sur la beauté sereine du Taj au loin (où il fut finalement enterré au côté de son épouse quelques années plus tard).
Mêmes horaires approximatifs que pour le Taj : « du lever au coucher du soleil » (donc grosso modo de 6 h à 18 h). L’entrée vous coûtera 650 roupies, avec la possibilité d’économiser 50 roupies supplémentaires si vous visitez le Taj Mahal le même jour.
| Le « Baby Taj »
Beaucoup moins couru que son illustre grand frère, le « Baby Taj » est (presque) tout aussi bluffant. Situé à 3 km au nord du Fort d’Agra, de l’autre côté de la rivière Yamuna, « Itimad-ud-Daulah » est le mausolée de Mirza Ghiyas Beg, beau-père de l’empereur moghol Jahangir et grand-père de Mumtaz Mahal (la fameuse épouse de Shah Jahan, pour qui le Taj fut construit). Commandé par la fille du vizir pour rendre hommage à son père, le tombeau est souvent considéré comme une ébauche du Taj, avec l’utilisation pour la toute première fois en Inde du marbre et des pierres semi-précieuses incrustées (« pietra dura »).
Inutile de forcer la comparaison pour autant. Le mausolée d’Itimah-ud-Daulah (« pilier de l’État », titre décerné par l’empereur à Mirza Ghiyas Beg) mérite que l’on prenne le temps de le découvrir pour lui-même, l’exquise délicatesse de ses décorations et sa forme ramassée le rendant particulièrement émouvant.
Le « Baby Taj » est ouvert tous les jours… du lever au coucher du soleil. La visite peut être combinée avec celle du Taj Mahal, pour éviter d’acquitter les 10 roupies de taxe supplémentaire (prix du billet : 200 roupies).
| Le Mausolée d’Akbar
C’est en feuilletant une brochure un matin que l’on tombe sur quelques lignes vantant les charmes du mausolée d’Akbar (XVIe). On fonce alors vers Sikandra sans idée préconçue, ni savoir à quoi nous attendre.
La surprise est de taille au moment de franchir la colossale porte ouvragée de Buland Darwaza qui donne accès au site. Au bout d’une vaste esplanade se dresse un imposant mausolée en grès rouge, différents de tous ceux visités jusque-là. Selon les canons architecturaux moghols, le monument est un échec, l’empereur Akbar n’ayant pas jugé bon de terminer les plans avant sa mort, obligeant son fils Jahangir à improviser en catastrophe.
Pour les promeneurs relativement faciles à contenter que nous sommes, le site est tout bonnement extraordinaire. Si vous avez plus d’une journée à consacrer à Agra, allez absolument vous perdre dans les jardins du mausolée d’Akbar où personne ou presque ne déambule – exceptés quelques paons, aigrettes, daims, antilopes et singes pour une fois pas trop pénibles. Le lieu est splendide et son isolement lui confère une ambiance magique, plus sensible encore dans la lumière dorée de fin de journée.
Le mausolée se trouve à Sikandra, à 10 km au nord-ouest de la ville d’Agra. Allez-y en taxi, en revenant ou en vous rendant à Fatehpur Sikri par exemple. Les horaires d’ouverture sont les mêmes qu’ailleurs : du lever au coucher du soleil. Nous n’en avons pas confirmation, l’information différant d’un site internet ou d’un guide de voyage à l’autre, mais il semblerait que le site soit fermé le vendredi. Coût du billet pour les voyageurs étrangers : 310 roupies.
Fatehpur Sikri
Depuis Agra, une petite heure de route vers l’ouest permet de rejoindre l’ancienne capitale impériale de Fatehpur Sikri, elle aussi largement pourvue en chefs d’œuvre moghols.
La « ville de la victoire » est la réalisation de l’empereur Akbar, considéré comme un des souverains les plus brillants que l’Inde ait connus (et ce malgré son dilettantisme en matière de construction de mausolée…). La légende veut qu’Akbar, inquiet de ne pas avoir de descendance masculine, ait un jour consulté un ermite qui lui aurait prédit la naissance d’un fils. Avec brio : un an plus tard naissait Jahangir, conformément à la prédiction du vieil homme, et l’empereur reconnaissant établissait sa capitale sur le lieu même de sa rencontre avec l’ermite, sur la colline de Sikri.
Bâtie entre 1571 et 1573, Fatehpur Sikri ne conserve son titre de capitale qu’une petite douzaine d’années. En 1585, la capitale est transférée à Lahore pour une raison toujours sujette à débat (difficultés d’approvisionnement en eau ou contingences politiques et militaires) et en dépit d’un éphémère retour en grâce au début du XVIIe siècle, la cité tombe totalement dans l’oubli jusqu’à la fin du XIXe.
Six kilomètres de remparts crénelés ceinturent la ville médiévale, enserrant une ribambelle de bâtiments royaux une fois de plus tous en grès rouge et tous plus beaux les uns que les autres : palais, salles d’audience, mosquées, bassins, écuries et caravansérail… Les bâtiments d’habitation ordinaires, situés à l’extérieur des remparts, ont de leur côté disparu depuis bien longtemps.
Symbole de l’ouverture d’esprit du souverain et de la profonde tolérance religieuse et culturelle qui prévalait sous le règne d’Akbar, la ville fusionne une multitude de styles et de traditions architecturales différentes, empruntant aussi bien à l’art perse qu’à l’art arabe, aux canons hindous qu’aux standards musulmans.
Accolée aux palais royaux, Jama Masjid, la mosquée du vendredi, est le plus vieil édifice religieux de Fatehpur Sikri et une des mosquées les plus imposantes du pays. En son centre se dresse le mausolée de Sheikh Salim Chishti, le fameux ermite consulté par Akbar. Le tombeau, orné de somptueux jali de marbre (de délicats écrans de pierre ajourés), attire toujours des foules de pèlerins, soucieux d’obtenir la naissance d’un garçon.
Si Jama Masjid impressionne, impossible de se laisser aller à la contemplation pour autant. La faute aux rabatteurs, et solliciteurs de toutes sortes, particulièrement collants. Un conseil : pénétrez dans l’enceinte de la mosquée par une porte et ressortez par une autre, gardez vos chaussures dissimulées dans votre sac, emportez de quoi vous couvrir la tête et les épaules et abstenez vous de pénétrer à l’intérieur du tombeau du Sheikh. Vous échapperez ainsi à une série de taxes toutes plus absurdes les unes que les autres. Les guides improvisés sont nombreux, restez polis mais fermes si vous ne souhaitez pas être accompagnés.
Le site de Fatehpur Sikri a beau être classé à l’Unesco, il est loin d’être pris d’assaut par les touristes (en tout cas, il ne l’était pas lors de notre passage en septembre 2019). Vous pourrez rejoindre la ville en train ou en bus depuis Agra, mais le plus confortable est encore de réserver une voiture et de faire étape en chemin au mausolée d’Akbar, si vous ne l’avez pas déjà visité. Comptez environ 1 700 roupies l’aller-retour, soit une vingtaine d’euros pour la journée. Pour ce qui est des horaires, le site de Fatehpur Sikri est ouvert tous les jours de 6 h à 19 h 30. Le billet d’entrée est de 610 roupies pour les visiteurs étrangers.
Explorer Agra et ses environs : derniers conseils pratiques
Agra forme l’une des trois pointes du « Triangle d’Or » indien, au côté de Delhi et de Jaipur au Rajasthan. Les touristes y sont donc nombreux et les rabatteurs presque plus encore. Conséquence de cette surfréquentation : Agra est avant tout un lieu de flux et de passage et la ville se prête peu aux rencontres. Comptez au minimum deux jours sur place pour faire le tour des différents monuments : consacrez une journée au Taj, au « Baby » Taj et au Fort Rouge, et une seconde à Fatehpur Sikri et au Mausolée d’Akbar. Une troisième journée ne sera pas de trop pour profiter des lieux un peu plus calmement.
| Se rendre de Delhi à Agra
La route se parcourt facilement en voiture mais évitez de faire appel à Uber ou Ola pour effectuer le trajet – une fausse bonne idée qui nous aura coûté bien plus cher que prévu. La meilleure solution est de circuler en train entre les deux villes, les départs étant nombreux chaque jour dans un sens comme dans l’autre.
| Une chambre
Udee’s Homestay, situé à proximité de la porte Est du Taj Mahal (environ un petit quart d’heure à pied de l’entrée du Taj) constitue une bonne option pour deux ou trois nuits. Le quartier est très calme et la famille aux manettes est sympa et attentionnée (au risque même d’en faire un peu trop…).
| Où se restaurer
Ayant pris l’essentiel de nos repas au homestay, on ne pourra pas vous conseiller grand chose. Seul resto testé : le Peshawri, installé dans l’enceinte du complexe de luxe ITC Mughal. Pas donné, forcément, mais très bon.
Agra – septembre 2019