Tansen et Bandipur : le Népal loin des foules
Après avoir exploré la jungle népalaise, le moment est venu pour nous de retrouver les villes, mais plutôt que de foncer tête baissée vers Pokhara et Katmandou, et de renouer avec la foule, les pouët-pouët assourdissants et la pollution, nous choisissons de progresser par palier et de commencer notre exploration par de petites localités haut perchées, peu fréquentées et à l’écart des sentiers (trop) balisés.
Nous vous présentons ici deux d’entre elles : Tansen, où nous faisons étape entre Bardia et Pokhara, puis Bandipur, qui nous accueille pour une nuit sur le tronçon Pokhara/Katmandou.
N’espérez pas y trouver une vie nocturne ou culturelle trépidante, ou de quoi occuper des journées entières. Tansen et Bandipur sont des bourgades assoupies, suspendues au sens propre comme au figuré, à mille lieux de l’agitation des grands centres urbains et des points de convergence touristiques.
Premier arrêt : Tansen (Palpa)
Nous ne mettons pas non plus toutes les chances de notre côté : quand nous débarquons à Tansen, le Népal tout entier est à l’arrêt. La grande fête de Dasain, la plus importante du calendrier hindou, tient le Népal en suspens pour une quinzaine de jours (comme c’était le cas lors du Têt quelques mois plus tôt au Vietnam). Notre arrivée à Tansen coïncide avec l’une des principales journées des festivités dédiées à la déesse Durga. L’ambiance est aux retrouvailles familiales et au festin partagé, les commerces sont fermés et les rares personnes que nous croisons, toutes sur leur 31 et toutes avec d’énormes tika apposés sur le front par les aînés (une mixture de riz, de poudre vermillon et de yaourt), se hâtent de rejoindre leurs proches.
Vu le contexte, impossible de profiter réellement de Tansen ; nous ne pouvons ni pousser la porte de ses magasins, ni nous attabler dans ses cafés et ses restaurants et encore moins engager la conversation avec qui que ce soit. A la place, et à défaut d’interaction, nous passons la journée à vagabonder à travers les ruelles escarpées du vieux centre, admirer les beaux bâtiments médiévaux aux fenêtres délicatement ouvragées et partir à la chasse aux divinités hindoues, nichées un peu partout entre les briques des temples, aspergées de couleur ou englouties sous les pétales de fleurs.
Pas de motos qui pétaradent, pas de klaxons, pas de promeneurs dans les rues, pas un bruit.
Ancienne place forte des souverains Magars, Tansen tombe dans l’escarcelle des Newars au XVIIIe siècle – des commerçants hors pair et artisans de génie qui donnent à la ville sa physionomie actuelle, et au Népal bon nombre de ses merveilles architecturales.
Plus récemment, en 2006, Tansen est visée par un attentat maoïste qui ne fait pratiquement aucune victime mais laisse le palais royal en cendres et les habitants en émoi.
Depuis, la vie a repris son cours – du moins hors période de Dasain. De notre côté, après des heures passées à déambuler dans la ville sans croiser âme qui vive, nous finissons par battre en retraite et retourner chercher du réconfort auprès de notre « famille d’accueil », qui exceptionnellement est privée de Dasain, suite à un décès survenu quelques mois plus tôt.
Si nos hôtes ne fêtent pas officiellement Dasain, pas question de renoncer pour autant aux jeux d’argent auxquels tous s’adonnent habituellement lors du festival. Jeff est convié à rejoindre les hommes de la famille sitôt le dîner terminé et à faire valser les cartes jusque tard dans la nuit – au contraire de Fanny qui passe la soirée seule dans la chambre.
Ce qui nous amène à un autre effet « bénéfique » de notre séjour familial : nous prenons rapidement conscience de la place occupée par les femmes dans la société népalaise, des discriminations auxquelles ces dernières sont confrontées et du poids des traditions qui alourdit considérablement leurs épaules. Le ton est donné dès notre arrivée. Notre hôtesse est désolée mais elle ne pourra pas cuisiner pour nous ces prochains jours : elle a ses règles.
L’argument pourrait prêter à sourire tant il paraît surréaliste (de notre point de vue tout du moins). Mais rien de plus sérieux : les règles ont beau être taboues un peu partout sur la planète, au Népal le sentiment « d’impureté » auxquelles elles sont associées croît de façon largement amplifiée, en particulier chez les hindous. Dans les campagnes, les femmes sont recluses une semaine entière dans des huttes situées à l’orée des villages. En ville, elles sont maintenues à l’écart des cuisines pour éviter que les ustensiles ou les aliments ne soient « souillés » à leur contact. Notre hôtesse se trouve ainsi placée sur le banc de touche pour quelques jours et c’est son ado de fils qui hérite des fourneaux et de la lourde tâche de rassasier les voyageurs de passage. « Ce ne sera pas terrible, désolée, mais nous ne pouvons pas faire autrement… ».
- Une journée est suffisante pour découvrir la ville (Durbar Square, Tansen Durbar, pagode Amar Narayan…), avec la possibilité de rajouter une demi-journée supplémentaire pour explorer les environs, randonner vers Ranighat/Rani Mahal (un ancien palais et lieu de crémation pour les habitants de Tansen) ou grimper du côté de Srinagar Hill (ou Shreenagar Danda) et de sa « view tower » en forme de phare. Dommage que le festival de Dasain ne nous ait pas permis de découvrir Tansen comme il se doit : la ville a beaucoup de charme et son atmosphère tranquille a tout pour séduire.
- Pour vous orienter, n’hésitez pas à pousser la porte de « GETUP » (Group for Environmental & Tourism Upgrading Palpa), un petit bureau d’information touristique incontournable en ville. On vous accompagnera pour trouver un logement, un guide, ou on vous indiquera les endroits à visiter. Ce service, proposé par Man Mohan Shrestha, un professeur d’économie à la retraite, était encore assuré lors de notre passage en 2019 mais impossible de trouver des informations à jour sur internet. A défaut : contactez Man Mohan par mail (shrestha.manmohan@gmail.com ou getup@ntc.net.np) ou réservez une chambre directement dans sa guesthouse, la bien nommée « City View ».
- Dans un tout autre registre, la ville de Tansen est réputée localement pour sa production d’ustensiles en cuivre et en bronze, ainsi que pour ses talents en matière de confection de dhaka topi, le chapeau traditionnel masculin (une sorte de haute calotte à motif, élaborée à partir de tissu « dhaka »).
| Trajets
La ville de Tansen est construite à flanc de colline. Manque de chance, la gare routière est située tout en bas de la colline et la majorité des logements tout en haut. Si vous arrivez suffisamment tôt, taxis et tuk-tuks vous conduiront au centre-ville. Dans le cas contraire… vous serez bons pour attaquer la côte à pied (15 à 30 min de marche en fonction de la localisation de votre logement et du poids de vos bagages…). Depuis le parc de Bardia, comptez 8 heures de bus pour rejoindre Butwal (750 roupies par personne), puis deux heures supplémentaires pour Tansen (100 roupies). Un bus direct dessert Pokhara chaque jour : le départ est programmé à 6 h du matin (7 h 15 pour nous…) et le trajet dure 5 heures (coût : 320 roupies par personne). Les paysages sont de toute beauté et compensent l’inconfort de la route.
| Où dormir/où manger
Nous avons passé deux nuits au Horizon Homestay, une chouette expérience à la fois joyeuse et dépaysante. Nous n’en démordons pas : rien ne vaut les homestays pour découvrir un pays de l’intérieur et faire voler en éclats ses repères. D’un point de vue pratique, le Horizon Homestay est bien situé, sur la route de Shreenagar Danda – avec en prime une vue imprenable sur la ville et les montagnes au loin. Comme les restaurants étaient fermés en raison de la fête de Dasain, nous avons pris tous nos repas avec nos hôtes. Certes la cuisine n’était pas exceptionnelle – les hommes népalais ne sont visiblement pas très à l’aise derrière les fourneaux, du moins pas ceux qui mettent en temps normal les pieds sous la table – mais cela avait au moins le mérite d’être local et sans chichi. Hors période de Dasain, le café-restaurant le plus plébiscité par les voyageurs semble être le Nanglo West. Et hors période de règles, nul doute que vous vous régalerez au Horizon Homestay.
Bandipur, un arrêt hors du temps
Niché entre Pokhara et Katmandou, en surplomb de l’axe le plus emprunté du pays, Bandipur reçoit davantage de visiteurs que Tansen mais sans souffrir du tourisme de masse qui sévit dans d’autres coins du pays.
Bandipur, comme Tansen, est un ancien village magar posé au sommet d’une colline. Récupérée par les Newars au début des années 1800, la petite localité devient rapidement un centre de confection de vêtements prospère, et un arrêt commercial apprécié sur la route qui relie l’Inde au Tibet. La construction de la « voie rapide » Prithvi Highway dans les années 1970 met toutefois un terme à l’économie florissante du village, qui se replie sur lui-même et s’endort dans les hauteurs.
Depuis quelques années, Bandipur connaît une embellie et ses jolies demeures du XIXe siècle attirent un nombre croissant de visiteurs.
On trouve à Bandipur une longue rue pavée (l’ancien bazar) flanquée de coquettes maisons newaries, une poignée de temples endormis, un écheveau de ruelles colorées incitant à la flânerie, quelques collines-belvédères avec vue magistrale sur la chaîne himalayenne, des chemins de randonnée serpentant à travers la campagne et un immense terrain, le Tundikhel, qui chaque fin d’après-midi sert de point de rendez-vous aux habitants du village. Une formule idéale pour faire chavirer les cœurs et retenir captifs les voyageurs.
Nous n’avons qu’un reproche à faire à Bandipur, celui de céder un tantinet à la facilité en transformant ses anciennes maisons de marchands en hôtels, cafés, banques, restaurants et commerces, au point que la rue principale du village, aussi charmante soit-elle, manque un chouia de caractère à notre goût. Mais que cela ne vous dissuade pas de faire étape dans l’ancien bazar pour une nuit : si vous voyagez entre Pokhara et Katmandou, Bandipur constitue une halte parfaite pour couper la route et reprendre votre souffle avant de basculer vers l’un ou l’autre des deux grands pôles urbains du pays.
Ici aussi, une journée suffit pour profiter de l’ambiance, déambuler dans les ruelles, parcourir les petits chemins de campagne en direction de Ramkot (à 5 km de Bandipur) ou prendre un peu de hauteur (du côté du temple Thani Mai par exemple).
| Trajets
Depuis Pokhara (trois heures environ) ou depuis Katmandou (sept heures – théoriquement), un seul arrêt : Dumre. C’est de là que partent les jeeps et les minibus en direction de Bandipur. Dans l’autre sens, et pour redescendre du village, vous n’aurez aucun mal à trouver un transport collectif qui vous ramènera sur la Prithvi Highway. Les voyageurs les plus courageux (ou les moins chargés) pourront alternativement rejoindre Dumre à pied depuis Bandipur, en deux heures environ. Attention : les bus qui naviguent entre Pokhara et Katmandou sont souvent bondés et il n’est pas évident d’y trouver un siège à l’improviste. Essayez de réserver une place en amont via votre logement (que ce soit à Bandipur, à Pokhara ou à Katmandou), ou avant d’entreprendre votre ascension vers Bandipur (vous serez très certainement accostés par des gens qui vous proposeront des billets pour le jour de votre choix).
| Où dormir
Le développement du tourisme à Bandipur s’est traduit par une hausse fulgurante du nombre de homestays et de boutique hotel. Si le Old Inn est certainement la plus belle adresse en ville, les options sont nombreuses et vous n’aurez aucun mal à trouver à vous loger.
| Où se restaurer
Pour goûter à la cuisine traditionnelle newarie, prenez place au Samay Baji, à l’extrémité orientale du bazar. Autres valeurs sûres : le restaurant de l’hôtel Old Inn et celui du Gaun Ghar, tous deux très bien notés et situés le long de la rue principale.
Tansen, Bandipur – octobre 2019