Italie plurielle – Premiers pas frioulans
Quand elle nous raccompagne vers la grande porte d’entrée de la maison, la propriétaire de l’Agriturismo Cjargnei à Povoletto est visiblement émue. « Merci d’être venus jusqu’ici… Il y a tellement de coins à visiter en Italie que les gens ne pensent pas au Frioul. On a une belle région pourtant, mais elle n’est pas connue. D’ailleurs dans le reste du pays ils nous appellent ‘les gens des montagnes’… C’est absurde, Udine est en plaine. Et vous verrez, Trieste, c’est encore un autre monde. Un autre pays. » Michela sèche ses larmes d’un revers de la main et nous fait un grand signe d’au revoir – empli de nostalgie frioulane.
Le Frioul-Vénétie-Julienne, comme toutes les provinces frontalières en marge des grands centres de pouvoir, est compliquée à appréhender. Les guides ne disent pas grand chose (le Routard ne connaît pas plus le Frioul que le Trentin Haut Adige) : quelques noms, quelques points historiques. La région est double : le Frioul, d’une part, la Vénétie-Julienne de l’autre. Les « marches » comme on désignait autrefois ces terres à la lisière des empires – des lieux de rencontres et de mélanges, où l’italien chante au côté du frioulan, du slovène et de l’allemand.
Le Frioul correspond grosso modo aux provinces de Pordenone et d’Udine. Des Dolomites frioulanes, au Nord, nous ne voyons rien cette fois-ci. Pour nous qui venons de l’ouest, de Canazei, les montagnes s’estompent progressivement, en partie à cause de la chaleur et de l’humidité ambiante, et aux alpages vert tendre du Haut-Adige et de la Vénétie succèdent bientôt vignes et champs de maïs à perte de vue, tournesols, oliviers et peupliers, villages aux couleurs passées posés au milieu des champs, petites villes de provinces assommées par la chaleur du mois d’août (chiusi per ferie clame une bonne partie des devantures), rues désertes bordées d’habitations égales que rien ne dépareille et entrées d’agglomération à moitié mangées par les entrepôts et les usines.
Voilà les premières images du Frioul, celles d’une région modeste, un peu en retrait, qui se déroule lentement. Une région du temps long et, peut-être pour cette raison précise, une région aimée des cyclotouristes : en terres frioulanes le vélo est partout, qu’il s’agisse des marques laissées par les coureurs du Giro passés quelques mois plus tôt, ou des voyageurs au long cours, aux sacoches solidement arrimées.
Derrière ces entrées de ville disgracieuses se cachent souvent de minuscules centre-villes médiévaux ou vénitiens, selon les heures de la journée entièrement livrés au soleil et aux cigales, ou pris d’assaut par les passants qui auront tôt fait de gagner les terrasses des cafés. Un mot d’ordre, ici comme ailleurs, Aperol spritz à toute heure.
– SACILE –
À Sacile, version réduite de Venise, personne dans les rues en début d’après-midi. Le Jardin de la Sérénissime somnole. À peine un filet d’air fait-il frémir les branches des saules, le long de la rivière Livenza.
– PORDENONE –
À quelques encablures de Sacile, Pordenone, forte de son statut de capitale provinciale, fait office de grande ville du coin. Le long du Corso Vittorio Emanuele II, une équipe s’affaire à placer scènes et installations sonores – ce soir, la ville est en fête.
Entre deux vitrines sous les arcades, le regard est capté par les couleurs vives des façades des anciens palais.
– VALVASONE –
Encore une section de route et l’on rejoint le bourg médiéval de Valvasone. Si quelques piétons déambulent sur les pavés le nez en l’air, la plupart semble converger vers la place du Duomo. Pourtant ce n’est pas la cathédrale et les notes d’orgue qui filtrent au travers des lourdes portes entrebâillées qui attirent les visiteurs mais plutôt le glacier installé juste en face. La pistache et la noisette coulent déjà le long des doigts quand on rejoint sur les bancs le groupe d’estivants qui, dans un silence quasi religieux, engloutit les gelati de fin de journée.
– D’UN VILLAGE MÉDIÉVAL À L’AUTRE –
Des villages médiévaux, la région en compte en pagaille. À peine quelques ruines à Fagagna, de splendides ruelles empierrées à Clauiano (classé parmi les plus beaux villages d’Italie), d’étonnantes fresques à Spilimbergo.
Et puis toujours un cappuccino, un macchiato, un verre de Tocai ou un Spritz donc. Que l’on s’y réfugie pour échapper à la pluie ou à la chaleur harassante, le café est le centre névralgique des vacances italiennes. A peine a t-on réglé sa note que l’on se retrouve déjà attablé deux rues plus loin. Il n’y a pas meilleur lieu d’observation ni de rencontre. Les forums romains du XXIe se trouvent à l’ombre des palais et des arcades, entre les murs frais des enoteche et ceux des troquets de campagne.
Restaurant Sale e pepe à Stregna : où l’on se régale de fleurs de courgettes à la ricotta et de jota, spécialité locale à base de lait battu, de chou, de haricots et de pommes de terres…
– CIVIDALE DEI FRIULI –
Plus à l’est, à quelques bornes seulement de la frontière slovène, les Vallées du Natisone conservent un visage âpre et sauvage. Cividale dei Friuli en est le point de convergence, petite ville indolente de jour, magnétique la nuit venue.
Dans les murs de celle qui fut autrefois Forum Julii, un petit temple du VIIIe siècle rappelle la grandeur passée de l’ancien duché lombard.
– VALLÉE DU NATISONE : MONT MATAJUR –
Du haut des pentes herbeuses du Mont Matajur (1 641m), le regard se perd dans une succession de courbes, tissu boisé cousu de hêtres, de charmes et de châtaigniers. Le vent se lève ; la pluie commence à tomber, drue. On court sur le chemin du refuge Pelizzo pour échapper à l’orage – refuge qui n’a jamais aussi bien porté son nom. Pelizzo ce jour là est le théâtre de Note e parole, festival alpin qui chaque année emplit les refuges d’histoires et de musique.
Plus tôt dans l’après-midi, un immense piano à queue a pris place au centre de la salle commune. Un temps les notes disparaissent derrière le fracas des bourrasques de vent et les coups de tonnerre, puis le calme petit à petit revient.
M’illumino di senso indique le titre de la pièce, écho aux vers d’Ungaretti M’illumino d’immenso (« Je m’éblouis d’infini »). Il y a quelque chose de troublant à scruter les visages attentifs de cette poignée d’Européens venus d’ici et d’ailleurs, d’Italie, de Slovénie et d’Autriche, avec pour seul langage commun un dialogue noué entre un saxophone et un piano. Il est question de la première Guerre Mondiale, des doutes et des terreurs d’un jeune soldat au front. Il est évidemment question de nous, Européens, et de cette histoire partagée.
– UDINE –
À Udine aussi, l’histoire prend de curieux détours. On y parle d’anciens palais Renaissance, de fresques de Tiepolo au détour d’un plafond et de logge vénitiennes.
Et puis il y a les histoires que rapporte à demi-mot l’Udine contemporaine. Dans cette Europe angoissée et fébrile, le Frioul demeure plus que jamais une région de passage et de migration. Devant les marches de la Préfecture, ils sont une cinquantaine d’hommes assis. On peut capter par endroit une conversation Skype ou quelques fragments musicaux. Au pied du château, adossés à un parapet, deux types chantent. Le pays natal, la nostalgie frioulane. L’Europe à construire et reconstruire sans cesse.
Frioul Vénétie Julienne deuxième volet – ici
Frioul – août 2016
8 Comments
Moruzzi
Superbe ce premier tour.
Pour un second tour, nous vous suggérons les Dolomites frioulanes, Unesco, les Préalpes et Alpes carniques (Tolmezzo, Sauris, lacs), les Préalpes et Alpes juliennes (Tarvisio, lacs, Venzone , Gemona del Friuli), dans les collines centrales frioulanes San Daniele del Friuli, cité du jambon cru connu internationalement, les collines orientales frioulanes et leur vignoble, dans la plaine, Palmanova, Unesco, Maniago, capitale de la coutellerie italienne, Sesto al Réghena , San Vito al Tagliamento, la Villa Manin, Gorizia et le Collio.
avouslefrioul
Fanny
Merci beaucoup pour toutes ces recommandations qui donnent envie de repartir explorer le Frioul !
campone
Alors c’est pour quand?
Fanny
Le prochain article ? La prochaine virée italienne ? La fin du confinement ? 🙂
campone
Vos récents retours du FVG?
campone
C’est pour quand?
campone
C’est pour quand en 2021?
campone
Enfin, depuis 2022, le seul guide touristique francophone sur le FVG:
« Trieste et le Frioul Vénétie julienne » chez Petit Futé.